Pierre : J’ai découvert la musique avec madame Lecorre qui a donné des cours de piano avant le Cp a tous les enfants de la famille, on était une famille nombreuse avec tous mes frères. Avec elle j’ai découvert les classiques de la musique qui m’ont marqué et qui me marquent encore.
Ç’est quoi « Ici et Lui » ?
Pierre : « Ici et lui » c’est le nom d’un poème écrit par Renaud Barse, qui est un pote écrivain, acteur, danseur, chanteur …. Il fait un peu de tout en fait (rires). Au début on mettait ses textes en musique. « Ici et lui » c’est aussi le nom de notre duo.
(Ici et Lui, à gauche Pierre David et à droite Thomas David - Photo Julien Segarra)
Tu as commencé très jeune avec « Alaf Lamout ? » qui était un groupe de rock classique ?
Pierre : Oui, j’avais quinze ans. C’était mes deux frères (Bruno et Thomas) et un pote batteur (Benjamin Cordova) et moi. On a été signé en édition chez Universal, on a fait deux albums et on a beaucoup tourné en France et à l’étranger. Et puis on a arrêté le groupe. On était dans une forme de lassitude par rapport au format rock. On a tous pris des parcours différents.
Thomas : l’envie de faire un groupe de rock classique est venue pendant une période ou nous allions voir beaucoup de concerts de rock alternatif. Près de chez nous, il y avait le Farhenheit à Issy les Moulineaux, et nous y allions très souvent. Aussi des souvenirs incroyables de concerts dans des squats parisiens. Nous voulions faire la même chose mais je ne suis pas sur que nous étions vraiment en phase. Nous étions décalé sans vraiment s’en rendre compte.
C’était quand ?
Pierre : En 2 000, au moment où je suis parti au conservatoire et Thomas (son frère, autre membre du duo et ancien Alaf Lamout ? Ndlr) est allé faire « l’American School of modern music ». Il a d’abord commencé à faire des trucs en solo et puis il est venu me voir pour que l’on continue à travailler ensemble. On a fait d’abord un premier concert au théâtre Du Gymnase sous notre premier nom : « Thomas et Pierre David » (rires), ce qui a bien fait rigoler tout le monde. C’était l’époque où Thomas jouait surtout avec des compagnies de théâtre. Bref on a trouvé rapidement ce nom, surtout que l’un des poèmes que l’on chantait était « Ici et lui ». Cela nous résumait bien : on est deux et puis il y a un côté marketing : ça fait marque de coiffeur (rires), j’adore ! En plus ça rappelle « ici et maintenant » une expression qui nous va bien …
https://www.youtube.com/watch?v=Urd8SLZKz0o
Alaf Lamout ? était un groupe de rock ! « Ici et Lui » ce n’est pas une forme de rupture avec le rock ?
Pierre : En réalité je ne me suis jamais senti « rock » ! A l’époque avec le groupe, dès que l’on faisait une interview on parlait de rock… En réalité ce qui m’intéressait c’était la musique et seulement la musique. Je m’en foutais du côté rock ! J’avais en moi ce vieux fond de musique de mon enfance … madame Lecorre !
Thomas : je n’ai pas le sentiment que nous ayons eu de rupture avec quoi que ce soit. Notre parcours musical me semble être un prolongement.
Ça se sentait un peu dans le groupe ou Pierre était le « musicien » : il jouait de la trompette, il chantait un peu… Contrairement à Thomas qui était le côté un peu fou du groupe ?
Pierre : Je suis d’accord ! J’aime bien des trucs de rock : Spécials, OTH, Manu Chao …. Mais pour moi les valeurs rocks n’étaient pas primordiales ! C’est pour apprendre à bien maitriser la musique que je suis allé au conservatoire.
Comment vous êtes arrivés à votre musique actuelle avec de la pop, du Jazz, de la chanson ?
Pierre : C’est venu d’abord des différences entre Thomas et moi ! Par exemple moi je voudrais mettre de la voix partout alors que lui est plus intéressé par les ambiances comme Paul Kalkbrenner (Djs Allemand, Ndlr). Il voudrait bien faire un album sans voix, alors que moi j’en veux ! On n’a pas les mêmes influences. Il a donc fallu trouver un équilibre entre nous deux ! Mais c’est par cet équilibre que nous avons trouvé notre son, notre voix !
Bizarrement je me rappelle de vous comme des fans de rap et là on ne sent plus cette influence
Pierre : C’est vrai quej’ai été marqué par « Paris sous les bombes » (album de NTM en 1995 Ndlr ). J’ai reçu le disque en même temps que le premier album des « Sales majestés » et franchement il y avait une vraie innovation en termes de son, de production que par rapport à un groupe Punk dont on bouffait le même son et musique depuis 10 ans. Maintenant le rap c’est mon adolescence mais c’est sûr que cela a été un premier catalyseur pour quitter un format « Rock ».
(Ici et Lui en concert - Photo Pierre Peloton)
C’est quoi alors vos influences ?
Pierre : Pour Thomas se sera Paul Kalkbrenner dont j’ai déjà parlé, un musicien électro un peu minimaliste avec de l’ambiance ou alors un guitariste comme Ernest Ranglin, ce genre de choses … Moi se sera plutôt des choses comme Parov Stelar, Manu Chao et beaucoup de musique du monde. On se retrouve sur un groupe comme Songhoy Blues, des musiciens Africains. On sait d’où on vient : l’alternatif, la banlieue, tout ça …. Quand on a étudié la musique on a découvert d’autres choses, d’autres sons qui en fait nous ont toujours intéressés…. Nos influences elles sont là même si ce n’est pas toujours évident de les mettre en avant !
Tu n’as pas peur de tomber dans le piège de la musique pour musicologue, trop pensée pour être appréciée par le plus grand nombre ? Une musique peut être trop intelligente ou cultivée …
Pierre : Ce n’est pas péjoratif dans ma bouche mais pour moi on fait de la musique d’ambiance ! Un type qui vient à nos concerts qui boit un coup et qui discute ça ne me dérange pas, même je trouve ça même cool ! Si le type se lève, danse et le morceau suivant boit un coup en discutant pour moi c’est parfait. Notre musique est certes écrite mais il y a toujours l’envie de faire un truc populaire et dansant.
On est loin du rock de Alaf ?
Pierre : Moi j’ai toujours cherché à faire danser les gens. Maintenant grâce au Max MSP, un logiciel de l’IRCAM que Thomas maitrise et qui permet de créer tes propres objets et sons, on peut faire un morceau super écrit mais aussi faire tourner la boucle pendant 4 minutes et on peut improviser ! On est libre totalement dans ce que nous faisons !
Sur scène ça se passe comment ?
Pierre : On est deux : Thomas à la guitare, moi aux claviers et à la trompette et on se relai pour faire tourner les machines. Et grâce à ce logiciel on n’a aucun playback et on peut aussi envoyer des images ! On a été marqué par une tournée au Sénégal où l’on est arrivé avec nos morceaux qui étaient très écrits et on a joué avec des musiciens locaux. On a vraiment apprécié qu’eux fassent tourner le rythme pour installer l’ambiance. L’improvisation cela veut dire aussi la gestion du temps, pour intégrer des nouveaux sons !
Vous pouvez intégrer facilement un autre musicien comme ça ?
Pierre : Sur notre album précédent on a invité un pote saxophoniste (Olivier Blanchard) ! Sur notre prochain album il y a un percussionniste de Kinshasa (Alberto Macossa) qui a enregistré sur presque tous les morceaux. Sur scène c’est une autre histoire : c’est notre projet à nous deux et c’est compliqué d’intégrer quelqu’un aussi facilement dans notre dispositif.
(Ici et Lui avec Alberto Macossa - Photo François Gouverneur)
Pour moi votre musique est très cinématographique, on croirait parfois de la musique de films Italiens des années 60 …
Pierre : Ça me parle ! D’ailleurs sur le prochain album il y a un texte qui est pensé comme une scène de cinéma : une scène que j’ai vécue avec « Alaf » quand on tournait en Tchéquie. Il y a un pote à nous qui avait été refoulé à la frontière et qui brusquement alors que on l’attendait de l’autre côté a sauté dans le camion, s’est caché et nous a demandé d’y aller. J’ai écrit un texte à propos de ça : une conversation téléphonique avec deux mecs qui parlent de ça. Ceci dit François Gouverneur qui nous enregistre nous dit souvent que nous sommes un groupe de musique à l’image !
Justement vous n’avez jamais été contacté pour de la musique à l’image ?
Pierre : Si un éditeur nous a contacté …. Je ne me souviens plus de son nom. On a continué à bosser dans une direction pour suivre ses conseils. Bon après il nous a dit qu’il préférait avant (rires) mais c’est vrai on nous le dit souvent !
Thomas : le truc serait de trouver un éditeur avec qui nous aurions une relation de confiance. Cette rencontre n’a pas eu lieux mais nous sommes ouvert pour les propositions qui se présenteraient à nous.
Vous êtes aussi parfaitement organisé : vous faites tout à deux !
Pierre : Attends (il sort un papier de sa poche Ndlr), j’ai amené avec moi ce que je considère comme l’organigramme de notre petite entreprise. On est à deux mais en fait on est très entouré par pleins de gens : Benjamin Reiss qui fait de la BD a fait tous nos visuels pour nos derniers albums, François Gouverneur qui a un studio à Stalingrad et qui parvient à dégager du temps pour concrétiser nos albums, c’est un peu le 3e membre du groupe, Bruno Gruel qui fait du mastering qui nous soutient tout le temps, UTUH donc Samuel Rozenbaum qui produit nos vinyls, Bruno Serre un peintre reconnu qui bosse sur les projections actuelles, Réseau Musique 94. … On est autoproduit certes mais on n’est pas tout seul !
Concrètement, c’est vous qui cherchez vos concerts ?
Pierre : En réalité on ne cherche pas vraiment de concerts : ils viennent à nous ! C’est pour ça que je me dis souvent qu’il y a un potentiel inexploité …. On trouve souvent des plans par des potes ! Bon, quand même on cherche un peu (rires) ! C’est pour ça que je recherche activement un tourneur : pour nous développer. On se débrouille tout seul pour la promo : j’ai fait plus de 100 radios, par exemple, pour le dernier album !
Pour les compositions ça se passe comment ?
Pierre : Pour le dernier album sur 10 titres, on a ramené chacun 5 titres.
Vous communiquez beaucoup ?
Pierre : Oui bien sûr mais moi quand j’amène un morceau je considère qu’il est fini. Mais en fait on retravaille ensemble systématiquement dessus. Pour être clair, on amène chacun un thème, une harmonie et ensuite il y a tout un travail rythmique et de son qui est fait derrière (voire de modifs plus importantes parfois). Et là, c’est vraiment un travail à deux.
Je voudrais que l’on parle du chant : tu voudrais chanter plus ? Tu fais des interventions sur scène mais pas vraiment de chant …
Pierre : Moi, naturellement, j’aime chanter ! Il s’est trouvé que la direction que l’on a prise avec Thomas ne va pas trop dans ce sens. Il pourrait se passer de voix et moi j’en ai besoin… Et ce qu’on fait, ouais c’est une direction presque sans voix, juste quelques samples ou de Vocoder. Je pense que Thomas se sent plus à l’aise sans voix, il s’exprime mieux avec sa guitare ! En ne chantant pas comme avant on perd une partie de notre public mais on gagne un autre !
Thomas : chanteur est un statut ambigu, surtout en France. Donne moi un nom de chanteur Français qui soit déconnecté clairement de la notion de « verbe » ou de « people » ou de « charismatique ». Je ne veux à aucun moment être dans ce jeux là. La musique avant tout, avec tout ce qu’elle véhicule d’universelle, de partage, d’au-delà des frontières. On se sert de nos voix comme des musiciens, je ne veux pas d’un projet de chanteur, mais d’un projet de musiciens avec pourquoi pas, la voix comme un instrument ?
C’est quand même incroyable que personne ne s’intéresse à vous ?
Pierre : On est des artisans, on a un savoir-faire et avec notre entourage on gère jusqu’à la fabrication du disque mais après on fait tout seul. Souvent ce sont des rencontres et des opportunités …
Vous jouez souvent ?
Pierre : En ce moment tous les weekends ! Et on trouve ces concerts par des opportunités, en plus on a notre sono, nos moyens de transports … On est vraiment autonome !
La plus grosse salle c’est quoi ?
Pierre : Bonne question …. El Alamein, l’Entrepôt, le Sub …. Ah si on fait un gros gala étudiant à Toulouse avec pleins de monde …. On a joué aussi aux Bars en Trans. On a joué en Irlande, au Sénégal… En Bretagne, Lilles, le Nord …
C’est quoi vos ambitions ?
Pierre : De faire partager notre musique au maximum de monde, on espère tourner plus et faire connaitre notre musique.
Mais vous êtes quand même toujours dans une organisation interne incroyable ?
Pierre : Oui, on est organisé mais on l’a toujours été et trop souvent dans la démerde. A l’époque d’« Alaf », on était déjà super organisé mais on a été déficitaire presque tout le temps et crois moi un truc déficitaire c’est usant. Là on n’est plus déficitaire et quelque part on en vit : si je suis prof au conservatoire de Fontenay aux Roses, c’est directement lié à ma pratique artistique. A mon entretien je leur ai dit que je faisais beaucoup de concerts et ça m’a aidé. Thomas, s’il a du boulot en tant que guitariste c’est aussi parce que il y a le groupe que l’on pense à lui. Et toutes nos ventes et nos concerts font tourner notre structure….
Musicalement tu comptes aller vers où ?
Pierre : Là, on vient de faire un truc directement influencé par la musique Africaine et de l’importance du ternaire dans la musique. En plus on a rajouté l’influence de la musique électronique… On pense déjà à l’après. On aime bien composer dans un temps limité, la dernière fois on s’est pris deux ou trois mois pour tout composer. En ce moment, par exemple, on est influencé par la danse Africaine On réfléchit aussi à une thématique autours de la musique Jamaïcaine….
Vous voulez rester sur des thématiques ?
Pierre : Ce que on veut, c’est une cohérence sur le disque ! On essaye de garder ça à chaque fois. Il y a des gens qui nous disent, qu’ils préfèrent tel ou tel trucs, des chansons ou des instrumentaux… Moi je veux que des gens me disent : « c’est toujours la même chose » ! Et oui, chez Manu Chao tu as une cohérence. Jean Sébastien Bach il a écrit 250 chorales et c’est tout le temps les mêmes ! Ok c’est la même chose peut être, mais ce qui pour moi est une qualité, mais c’est très bien fait !
Vos projets ?
Pierre : Dans l’immédiat un nouvel album pour le printemps, développer la musique à l’image et surtout arriver à se structurer mieux pour avancer.
Qui a fait vos clips ?
Pierre : Thomas tout seul avec sa « Gopro » (camera Ndlr) et sa copine Maya, toujours ce côté autoentrepreneur
Bon la dernière question : comment amener des enfants vers la musique, quels conseils tu donnerais ?
Pierre : Moi je crois qu’il faut les sortir : aller voir des concerts, Pour apprécier la musique il faut se déplacer voir la musique en live et dans tous les genres différents. Tu peux leur faire écouter Monteverdi, Léonard Cohen, Chet Baker ou les Spécials. Franchement il y a à faire, tu trouves des filiations entre tous. Je me rappelle d’une phrase qui m’avait marqué : « comment demander à un enfant de dessiner un arbre s’il n’a jamais été dans la forêt ! ». Il faut les amener dans une forêt. Tu peux mettre tes enfants au conservatoire ou avec un prof particulier pour qu’ils apprennent et qu’ils partagent ensemble mais tu dois les suivre, ne pas les mettre là comme on les met au Tennis. C’est ça : faire écouter des disques à ses enfants, les suivre dans leurs études musicales et surtout les sortir voir des lives !
Thomas : la musique est un jeu. On joue de la musique. Un enfant joue avec une balle, une poupée, des feutres, alors si l’un de ses jouets est un instrument, même si c’est pour taper dessus, je crois que l’objectif est atteint. Il m’est arrivé de voir des adultes demander à des enfants d’arrêter de taper sur un piano, je pense que c’est une erreur.