Bertrand Betsch, le chanteur de survie pour un milieu hostile

jeudi 21 novembre 2024, par Franco Onweb

Quand, en 1997, le label Lithium sorti le premier album de Bertrand Betsch, ce fût, pour beaucoup, une révélation. Il appartenait à cette génération de « nouveaux » artistes français qui savait parfaitement allier la langue de Molière à une musique actuelle. Depuis il a fait du chemin en ayant à son actif vingt albums. Une discographie prolifique qui fait de lui, un artiste aussi prolifique que talentueux.

Quand j’ai appris, au printemps dernier, que Bertrand Betsch venait de sortir ce vingtième album « Kit de survie en milieu hostile », j’ai discuté avec lui pour en savoir plus sur cet artiste hors normes.

Tu avais fait quoi avant ton premier album chez Lithium en 1997 ?

Rien (rires), j’avais juste fait quelques groupes quand j’étais adolescent mais rapidement j’en ai eu marre : tout est plus long quand tu es dans un groupe. Je m’en suis aperçu quand je me suis acheté un 4 pistes à cassette à 18 ans. Ça a tout de suite été beaucoup plus rapide et plus satisfaisant.
Sinon j’ai fait des études de lettres, puis mon service militaire et c’est pendant mon service que j’ai rencontré Vincent du label Lithium en 1995. J’ai signé mon premier contrat discographique en 1996 et enregistré mon premier album dans la foulée.

Bertrand Betsch
Crédit : Bastien Carayol

Comment as-tu sorti cet album chez Lithium, qui était un label très représentatif de son époque, où il y avait des artistes comme Mendelson, Da Capo, Diabologum ou Dominique A ? Vous arriviez avec un nouveau genre : la chanson française qui faisait de la pop. Vous en aviez conscience ?

Disons que dans les années 90, la France, en termes de chanson-pop-rock, était un vrai désert musical. Du coup, la voix était libre et il était très facile de trouver sa place et de se faire remarquer. La scène musicale française était très à la ramasse par rapport à la scène anglo-saxonne. De sorte que nous n’avions pas grand mérite au sens où il n’y avait pas de concurrence et pas de figure écrasante qui nous soit contemporaine. Les terres étaient littéralement en friche.

Mais est-ce que tes disques n’ont pas permis des vocations en permettant à des gens de mettre du français sur de la pop ?

Oui, mais à une très petite échelle… ce n’est pas très significatif. Disons que pour ma part j’ai créé mon propre idiome et que cela a peut-être incité certains musiciens à trouver le leur. Mais, contrairement à Dominique A, je n’ai pas du tout rayonné. Je suis resté très à la marge.
Mon premier album est un peu culte mais il ne s’est pas vendu tant que ça à sa sortie (4000 ex). Quand j’ai sorti ce premier album, on m’a dit c’est « prometteur », 10 ans après on m’a dit que c’était un chef-d’œuvre et au bout de 20 ans on m’a dit que je ne ferai jamais mieux. Beaucoup de gens ont cristallisé sur ce disque qui a des qualités mais aussi pas mal de défauts…

Quelles sont tes influences ?

Manset est pour moi la figure tutélaire de la chanson française, même si je pense que son influence sur moi est relative. J’ai assez peu de recul sur ce que je fais, c’est plutôt aux autres de pointer les influences. Pour ma part, je pense avoir créé mon propre style et que ce que je fais ressemble principalement à du Bertrand Betsch. J’ai ma signature, même si c’est prétentieux de dire ça. C’est juste mon petit truc à moi.

J’ai l’impression que tes influences sont autant littéraires que musicales et même cinématographiques.

Non, je ne crois pas. Je suis un passionné de cinéma, de musique et de littérature mais je ne fais pas spécialement de ponts entre tout ça. Par exemple, je suis vraiment un enfant du post-punk, de la New Wave que j’ai beaucoup écouté. Pourtant il n’y a aucun rapport entre ce que je fais et le post-punk. Sauf une certaine mélancolie. C’est le seul point de rencontre. Par exemple, j’aimais beaucoup les Cure, Joy Division, Bauhaus et autres… Pourtant si tu écoutes leurs disques et un de mes albums, cela n’a rien à voir, sinon une certaine noirceur.

Tu as sorti ton 20e album au printemps « Kit de survie en milieu hostile », tu as été sur des gros labels comme Lithium, PIAS ou Labels. Pourquoi cela n’a pas mieux fonctionné ?

Je faisais des choses assez douces, quoiqu’assez abrasives dans les textes, mais j’étais assez agressif dans mes rapports avec les gens, assez asocial aussi car très mal dans ma peau. Pour moi, le point de bascule c’est mon troisième album, « Pas de bras, pas de chocolat » sur EMI/Virgin/Labels. C’est un disque sur lequel il y a eu un fort engouement mais il était très arrangé et très produit et donc intransposable sur scène. On avait beaucoup de demandes mais on aurait dû être 20 sur scène pour s’approcher du disque, ce qui était impossible. On a donc fait une tournée assez catastrophique et après plus personne n’a voulu me faire tourner. Pour « Kit de survie », je fais des concerts mais le disque est facilement adaptable pour la scène. Tout a été composé en guitare-voix ou piano-voix de sorte que les chansons tiennent debout toutes seules avec un simple accompagnement.

Tu refais de la scène ?

Oui, ça me manquait. J’adore concevoir des albums et ce travail sur mes disques a souvent pris le pas sur le plaisir de la scène. Je redécouvre en ce moment le plaisir de jouer en live.

Crédit : Bastien Carayol

Cela se passe comment ?

Je suis seul avec une guitare folk et un piano numérique. J’ai mis longtemps à trouver la formule qui me convenait : seul sur scène. C’est comme ça que je me sens bien. Je me sens plus libre sans musiciens : je peux changer l’ordre des titres, improviser, je peux oublier des couplets (rires)… Lorsque l’on joue à plusieurs, on a toujours un fil à la patte.

Tu tournes dans quel genre d’endroits à l’heure actuelle ?

Des petites salles comme la Manufacture Chanson à Paris, une salle de 50 places… Je n’ai pas assez de notoriété pour espérer me produire dans de plus grandes salles…

Ta musique a évolué en 20 ans. Tu as un peu d’électronique ?

Un peu mais surtout chaque album est différent et appelle des orchestrations et des modes de production différents. Ça peut parfois être quelque chose d’assez élaboré avec un producteur, avec des moyens et des subventions. Mais je peux enchainer avec des albums faits maison. C’est la nature des chansons qui me dicte le mode de production.

Pour moi tu as un côté artisan de la chanson qui fait ses disques lui-même à la maison.

Tout à fait, il y a un plaisir de faire tout soi-même. J’aime ce côté artisan comme un menuisier fabrique une chaise ou une table. Je n’aime pas trop le côté « studio » où tout doit aller très vite. Tu dois enregistrer un disque en deux semaines alors que dans mon cas ça prend au moins un an. Je travaille par petites touches. Deux heures par-ci, deux heures par-là. J’ai besoin de sans arrêt laisser reposer les morceaux pour prendre du recul. Ça me prend beaucoup de temps, ce qui n’est pas possible en studio. C’est cette lenteur qui me pousse à rester dans un système très artisanal. Par ailleurs la musique est pour moi un exercice très solitaire, très introspectif. Je suis incapable de créer s’il y a des gens autour de moi.

Tu es chez Microcultures Records maintenant, avant tu avais ton propre label. L’indépendance n’est pas un choix pourtant ?

Oh non, ce n’est pas un choix, personne ne veut de moi, personne ne gagne de l’argent avec moi (rires), moi non plus d’ailleurs (rires).

Tu viens de sortir ton 20e album. Tu es super prolifique !

Pas tant que ça. Là je vais sortir un nouvel album d’inédits qui a été enregistré il y a des années. L’album s’appelle « A rebours » parce que ce sont des morceaux qui datent d’avant mon premier album « La Soupe A la Grimace » ou qui sont contemporains de ce disque. Je les ai réenregistrés vers 2018 et l’année prochaine je sortirai un autre album d’inédits qui s’appelle « Fonds de cale » que j’avais sorti en 2012 à un tirage limité à 100 exemplaires. Il n’est pas sur les plates-formes. Donc je l’ai remixé, remasterisé et il y aura un nouvel « artwork ». Ce sera un tout nouvel objet. Je ne crée donc pas 20 chansons par an. Plus je vieillis, plus je suis lent (rires). Dans les années 90, j’écrivais beaucoup et j’ai donc pas mal d’inédits de cette époque que je retravaille au gré de mes envies. Ça explique qu’il y ait beaucoup d’albums. Quand j’ai signé en 1996 pour mon premier disque j’avais déjà une bonne centaine de chansons à mon répertoire.

Je suis d’assez près les nouveaux artistes français et je les vois sortir un single, puis un EP et puis péniblement un album. J’ai l’impression que quand ils se lancent ils ont cinq ou six chansons de prêtes alors que moi j’en avais énormément.

En revanche, j’ai mis beaucoup de temps à me satisfaire de mes enregistrements. À l’époque je travaillais sur un 4 pistes à cassette et c’était compliqué au niveau de la qualité et de l’espace sonores. En plus je ne suis pas un vrai chanteur, pas un vrai instrumentiste, donc je ne me suis jamais senti sûr de moi. J’ai mis longtemps à arriver à faire des enregistrements corrects de mes morceaux, à cause de soucis techniques et, plus généralement, de mon dilettantisme.

Tu viens de parler des plates-formes, est ce que tu ne te sens pas « étranger » à ce nouveau monde où il faut sortir titre par titre, des clips, faire des remixes…

Oui et non, sur le dernier disque il y a deux clips, donc deux singles mais j’ai aussi 54 ans et donc la culture de l’album. Pour l’instant je suis sur un vieux schéma mais c’est dû à mon âge et c’est le cas de tous les artistes de ma génération.

Mais tu restes attaché à l’objet ?

Oui, bien sûr ! D’autant que le streaming ne rapporte pas d’argent. Je gagne juste un peu de sous avec la vente des CD’s.

Par ailleurs, concernant le graphisme et la conception de l’objet disque, j’ai toujours eu la chance de travailler avec des gens extrêmement talentueux, que ce soit Olivier Dangla, Stéphane Merveille, Morgan Miranda, Julien Bourgeois, etc.

Tu mènes aussi une carrière d’écrivain ?

J’ai fait des études littéraires assez poussées. J’ai toujours eu du goût pour la littérature mais ça reste marginal dans mon travail artistique. Et cela même si j’ai quelques livres sous le coude que j’aimerais un jour voir publier.

On va parler de ton dernier album « Kit de survie en milieu hostile ». Pourquoi ce titre ?

Il y a quelques années, on m’a demandé, dans le cadre de la promotion d’un disque, une compilation de mes titres de cœur et ce titre m’est venu.
Les chansons m’aident à vivre. Je suis très sédentaire, je sors peu et quand je quitte mon appartement, j’ai un casque sur les oreilles avec de la musique. Cela me permet d’affronter le monde. La musique est une sorte d’armure. Si j’ai de la musique dans mes oreilles c’est plus facile pour moi d’aborder la civilisation. C’est un écran qui me protège du monde extérieur. D’où l’expression Kit de survie dans un milieu hostile.

C’est un album qui fait que 10 titres !

Au début, je faisais des disques très longs, maintenant la norme dans la chanson française, pour moi comme pour les autres, c’est 10 à 11 titres et 30 à 35 minutes. J’aime bien, à titre personnel, les albums courts. En ce qui me concerne, je mets de plus en plus de temps à écrire et arriver à 10 titres. 10 titres c’est déjà très bien et ça représente beaucoup de travail.

Ton album s’ouvre sur « les grands voyages » un morceau très aérien. C’est voulu de le mettre en premier sur le disque ?

Je le trouve assez rythmé, entraînant et avec des arrangements très dynamiques. Donc il a un effet locomotive. C’est pourquoi je l’ai mis en premier.

Crédit : Bastien Carayol

Le deuxième morceau « Amor Fati » est une référence à Nietzsche. Tu es un grand lecteur de philosophie ?

J’aime bien lire des essais, que ce soit sur le cinéma, la psychanalyse ou, plus rarement, la philo. La fiction m’emmerde. J’ai l’impression de perdre de mon temps, de n’en tirer aucun profit. Ça doit faire 10 ans que je n’ai pas lu un roman. J’ai soif d’apprendre et de comprendre.

Il y a aussi ce titre que j’adore « Vienne la nuit et sonne l’heure ».

Tant mieux, je l’aime beaucoup aussi. C’est un titre un peu particulier où j’ai mélangé des couplets très imagés avec un refrain inspiré d’Apollinaire et qui n’a rien à voir avec les couplets. C’est presque du cut up.

Sur l’album, il y a un thème qui est la séparation. Tu es d’accord ?

Pour moi c’est un album bilan avec beaucoup de références à mes titres passés. La séparation est quelque chose que j’ai souvent traité. À titre personnel je ne suis plus du tout dans la martyrologie du deuil amoureux. Cela ne me concerne plus du tout. Disons que c’est une résurgence du passé.

« J’irai cracher sur vos tombes » c’est un clin d’œil à Boris Vian ?

Pas vraiment, c’est plutôt du sampling. J’aime bien ça, prendre un titre (de film ou de livre) et le détourner. J’aimais bien ce titre et c’est plus un clin d’œil ironique qu’un hommage à Boris Vian. Surtout, c’est une chanson politique, un truc que je ne fais que très rarement. J’essaye de prendre la suite de Renaud, que j’écoutais gamin et qui n’est plus trop en état d’écrire des chansons (rires).

En concert
Crédit : Marc Pivaudran

Il y a aussi « Nous n’avons fait que fuir ».

Cette chanson est assez proche des « Rendez-vous manqués » qui est sur mon premier album. C’est sur le fait que l’on se rate souvent, qu’au cours d’une vie l’on passe à côté de plein de gens et qu’il n’y a que très rarement de rencontres décisives. De fait, j’ai très peu d’amis. Et pus l’on vieillit, plus c’est difficile de se lier à d’autres personnes.

Tu as une violoniste sur ton disque ?

Oui, Salomé Perli, avec qui je travaille depuis 2015. C’est la seule personne avec qui je travaille régulièrement. Généralement je m’occupe de tout le reste.

Tu en attends quoi de ce disque ?

Pas grand-chose : il est sorti il y a plus de six mois et quand je sors un disque, je suis souvent sur le ou les suivants. Je me projette toujours vers l’avenir.

Il y a eu un point de rupture avec mon double album « La nuit nous appartient » sorti en 2013 qui a été un échec cuisant. J’en attendais beaucoup et c’est mon disque qui a le moins marché. Il y avait beaucoup de titres, 26, ce qui a découragé les gens de l’écouter, mais c’est ce que j’ai fait de mieux jusqu’à présent en termes de songwriting. Personne n’a chroniqué l’album. Il a été complètement passé sous silence. Ça été une véritable blessure narcissique.
Maintenant je suis beaucoup plus cool. Je sors des disques sans me mettre de pression. Je le fais de façon très détendue. Je le fais pour me faire plaisir et pour faire plaisir aux gens qui aiment ma musique. C’est presque un mode de vie de sortir des disques comme ça. Ça rythme les saisons.

Tu avais quoi sur ta platine quand tu enregistrais ton dernier disque ?

Aucune idée (rires), j’écoute des choses très éclectiques. Pour moi, faire des disques et en écouter sont deux choses différentes.

Tu n’es pas du genre à être influencé au jour le jour comme certains ?

Non, pas du tout… Comme je n’ai pas le niveau musical pour produire des choses sophistiquées ou novatrices, je reste dans mon monde.

Tes projets ?

La sortie de « A rebours » et « Fonds de cale » dont j’ai déjà parlés. Il y a aussi un autre album qui est sorti il y a 15 ans, « Je vais au silence », sous forme de maquettes. À l’époque il était disponible uniquement sur Soundcloud. Pour certains de mes « fans » c’est un de mes meilleurs disques, ce qui m’incite à me repencher dessus. Je dois le réenregistrer avec un producteur. Ce sont encore de vieilles chansons. Ensuite je voudrais sortir un Best Of qui s’appellera « Betsch Off » avec des versions différentes de certains morceaux de ma discographie. On reprendra des sessions de certains morceaux que l’on retravaillera. D’autres morceaux seront réenregistrés de A à Z. Ce ne sera donc pas un Best of à proprement parler mais une relecture de certains morceaux importants (à mes yeux) de mon répertoire. Je travaille aussi sur un projet participatif électro où des gens m’envoient des prods et où je colle des textes dessus. Ça fait longtemps que je suis sur ce projet mais très en pointillé et j’espère que j’arriverai un jour au bout. Enfin, depuis peu de temps, je travaille sur un vrai album de nouvelles chansons qui s’appellera « La vie sauve » et que j’espère sortir en 2026. En 2027, ce seront les 30 ans de « La Soupe à la grimace » qui ressortira avec 6 inédits.

Le mot de la fin !

Keep faith

Quel disque tu donnerais à un enfant pour l’emmener vers la musique ?

Par rapport à ce que j’écoutais, c’est Gérard Manset, que j’ai découvert à 12 ans via mon grand frère, qui m’a donné envie de faire des disques. Je pense particulièrement à l’album « Prisonnier de l’inutile » que j’ai écouté des centaines de fois et que j’écoute encore régulièrement.

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