Sébastien Monod : « Dahovision(s) », le livre qui « explique » Etienne Daho

mardi 22 mars 2022, par Franco Onweb

Étienne Daho est présent sur la scène hexagonale depuis 40 ans. Quarante années de « hits », de titres incroyables qui ont marqué la musique d’ici. Le chanteur rennais a, au cours de ces décennies, largement partagé sa musique avec pleins de musiciens et permis de découvrir énormément de bonnes choses à son public. Étienne Daho c’est une incroyable culture musicale, littéraire et cinématographique mise au service de sa musique et ils sont rares les artistes qui ont su partager autant de choses avec leur public.

Fan depuis son adolescence d’Étienne Daho, Sébastien Monod, a relevé dans son œuvre un grand nombre d’influences culturelles. Après avoir commencé à les noter, il en a tiré un ouvrage passionnant, « Dahovision », dans lequel il analyse les différentes sources culturelles de l’éternel « jeune homme chic ». Un livre passionnant, de passionné, qui m’a emballé. J’ai donc décroché mon téléphone pour en parler avec lui.

Peux-tu te présenter ?

Je suis Sébastien Monod. Je suis auteur de romans principalement mais j’écris aussi des scénarios, des pièces de théâtre, des nouvelles… J’ai écrit aussi deux livres, deux essais, un sur Étienne Daho et un autre sur l’acteur Montgomery Clift. Je fais un peu de photos dont certaines ont été publiées et j’habite à Rouen depuis que je suis tout petit.

Sébastien Monod
Crédit : Nicolas Comment

Pourquoi un livre sur Étienne Daho ?

Tout d’abord, Daho est un compagnon de parcours depuis mon adolescence. On entendait sa musique un peu partout, à la radio et dans tous les lieux où on allait, comme les supermarchés. J’aimais beaucoup mais je ne pouvais pas dire que j’étais fan, parce que j’étais trop jeune. C’est à la fin des années 80 avec « Pour nos vies martiennes » et surtout avec « Paris ailleurs » que je me suis aperçu que c’était quelqu’un de passionnant et qu’il fallait suivre. A partir de là, je me suis complètement immergé dans son univers. J’aimais bien des artistes pop mais lui recoupait un peu tout : la chanson française avec des textes très aboutis, des influences diverses que l’on ressentait, la pop venue du monde anglo-saxon… Cela faisait un cocktail passionnant. J’étais comblé.

Tu indiques dans ton livre que tu as commencé à prendre des notes. A partir de quand as-tu senti que c’était plus cultivé que l’image pop que l’on veut bien lui donner ?

J’ai compris ça tardivement. J’avais senti ses influences, certaines assumées et d’autres moins visibles. J’ai commencé à prendre des notes dans un petit carnet ces dernières années, un peu par amusement. Cela s’est transformé en quelque chose de plus professionnel quand je me suis mis à taper ces notes sur Word parce que mon carnet était devenu trop petit. Cela a été comme une pelote de laine dont le fil s’est déroulé avec une facilité déconcertante. Je voyais des références à des livres, à des séries, à des films… Et puis je me suis pris au jeu. Dès que je trouvais une référence, j’en voyais une autre… J’ai fini par noircir 80 pages A4 et là je me suis dit qu’il fallait que j’en fasse quelque chose, que cela méritait d’être partagé. Je ne savais pas comment : fallait-il écrire un article ? le partager sur les réseaux sociaux ? sachant que j’ai un groupe consacré à Étienne Daho sur Facebook (Pop Zone, NdlR) ? La pandémie est arrivée, et avec le premier confinement, j’ai eu beaucoup de temps pour écrire (rires).

Tu avais prévenu Étienne Daho de ton projet ?

Pas au départ, parce que je ne savais pas où j’allais. Je faisais les choses pour moi mais quand le premier jet a été écrit, très vite, en un mois et demi, je l’ai contacté. Nous étions encore en confinement. J’ai eu rapidement une réponse positive, au bout de quelques jours : il acceptait de discuter avec moi. On a fait une interview par téléphone parce que nous n’avions pas encore le droit de nous déplacer.

En lisant ton livre on a l’impression que la force de Daho est de tout ingurgiter et de le ressortir avec ses mots ?

C’est quelqu’un de très curieux, très ouvert à tout… Il est sensible à la musique, aux mots et même à des lieux. Je suis un peu comme lui. Il a une curiosité naturelle qui lui permet de capter beaucoup de choses, des choses qui se retrouvent dans ses chansons, dans ses clips… Mais ce n’est pas une démarche volontaire : c’est spontané. Il va puiser dans sa culture : c’est une démarche passionnante !

Dès le départ, il a un côté pop. Est-ce qu’il n’a pas ce côté « bon copain », très frais et pop qui lui a permis de faire sa carrière ?

C’est vrai que parmi les « Jeunes Gens Mödernes » il y avait certains qui avaient un côté sombre, qui s’habillaient en noir. Et puis il y avait ceux qui portaient des vêtements très colorés, qui faisaient une musique plus joyeuse. Ils cohabitaient très bien ensemble. Ceux qui étaient plus « pop » aimaient les années soixante, les yéyés, les Beach Boys. Ils ont emmené leur univers musical vers quelque chose de plus solaire : c’était Daho, Lio, Niagara… Ils ont eu plus de succès que les autres. Daho en était presque gêné parce que pour lui ça marchait très fort alors que les autres, comme Marquis de Sade, Les Nus ou Daniel Darc, n’avaient pas la même exposition médiatique.

Dans ton livre tu as choisi de parler de tous les albums de Daho y compris les compilations et les albums de reprises en gardant un ordre chronologique ?

Oui, j’aurais pu choisir des thématiques : cinéma, littérature, musique… Mais la manière dont je l’ai construit était plus pratique pour « atteindre » le grand public ou des gens curieux qui aiment Étienne Daho sans être des fans. Cela a évité de donner un côté essai un peu lourd. Là, c’est facile d’identifier les chapitres grâce aux albums. C’est visuellement plus évident. En fait, ça s’est imposé tout seul !

N’était-ce pas un moyen de suivre l’évolution de la culture d’Étienne Daho ?

En cours de rédaction, je me suis, en effet, rendu compte de cette évolution. Dans son premier album, on voit ses influences et à partir de « Pop Satori », les influences sont plus subtiles et incorporées dans la matière. Par la suite, il a fallu creuser pour trouver ses influences.

Dans ton livre, Christophe Lavergne (Graphiste parisien, NdlR) a refait les pochettes d’Étienne Daho ?

Oui, Christophe a accepté de faire ce travail, c’est quelqu’un d’adorable.

Pourquoi refaire les pochettes ?

Il faudrait lui poser la question (rires). C’est une démarche créatrice de sa part. Mes éditeurs m’ont proposé de faire ça. Cela s’est imposé à eux et c’était finalement normal que ces illustrations y figurent. Christophe, en tant qu’artiste, a donné sa propre vision de l’œuvre de Daho. Il y a une logique avec le titre du livre : « Dahovision(s) » : c’est la vision que Christophe a d’Étienne. Son travail s’est naturellement intégré à mon texte et à mon propos. Sans lui, le livre aurait été moins bien (rires).

Il y a la fin du livre, certains collaborateurs et amis d’Étienne Daho comme Jean-Louis Piérot ou Jean-Éric Perrin, sont interviewés sur son travail. Comment les as-tu choisi ?

J’ai contacté beaucoup de personnes au cours de l’année 2020, après en avoir parlé avec Étienne Daho. Lui-même m’en a suggéré certains. J’ai d’abord pensé à des personnes très proches de lui et présentes depuis les débuts comme Arnold Turboust ou Elli Medeiros.

Qui ne sont pas présents dans le livre !

Oui, et c’est presque mieux parce que tous ces gens ont beaucoup été interviewés et sollicités pour parler de lui. J’étais allé vers des personnalités un peu « faciles ». Je me suis dit qu’il fallait plutôt me concentrer sur des gens qui ont travaillé plus récemment avec lui et qui ont peu parlé de lui. Je tiens à dire que la grosse majorité des personnes contactées m’a répondu, et celles qui n’ont pas pu me parler, c’est parce qu’elles étaient occupées.

Ce livre rend hommage à Daho et met en avant l’immense artiste avant-gardiste qu’il est. Est-ce que ce livre ne permet pas de le « réhabiliter » auprès d’un public qui ne le prend que pour un chanteur de pop un peu « facile » ?

Depuis la parution du livre et les retours des médias, je me rends compte que certaines personnes sont surprises parce qu’elles découvrent un Daho auquel elles ne s’attendaient pas. Cela m’enchante particulièrement que ces fausses images ne lui collent plus à la peau. Mais ce n’était pas du tout mon intention à la base. On voit que c’est quelqu’un qui a un bagage culturel incroyable, très riche et qui l’utilise à bon escient dans sa démarche créatrice. Mais en faisant mon travail j’ai aussi pointé des sources que les gens n’attendaient pas. Personne dans le grand public ne peut imaginer que Étienne Daho est un fan de « Twin Peaks » qui est loin de son univers. C’est barré et sombre cette série.

Ou de reprendre du Jean Genet !

Tout à fait ! Qui pensait que le gentil et séduisant chanteur de pop pouvait reprendre Jean Genet avec ses mots crus ou osés ? Personne. Les fans, eux, savaient qu’il aimait Genet parce qu’il avait repris « Sur mon cou ».

Daho n’est-il pas un merveilleux « passeur » ? Il a permis de découvrir pleins de groupes et d’artistes comme les Young Marble Giants, les Comateens…

Pour moi, c’est le mot qui lui correspond le mieux en tant qu’artiste. C’est quelqu’un qui est très marqué par ses influences, il est fan avant tout. Quand on aime un artiste ou une œuvre, on a envie de les partager et de vivre une communion avec les autres via ces partages. Je pense que c’est quelque chose d’essentiel pour Étienne.

Mais c’est aussi prendre des risques : le public d’Étienne Daho n’est pas forcément prêt à tout accepter comme du Jean Genet ?

Ça déstabilise ! Avec « Le Condamné à mort » il a perdu une partie de son public qui a été désarçonné mais cela a été le cas aussi avec « Eden » ou « Blitz », des albums sur lesquels les collaborations ont été parfois mal comprises. Quand on connaît Daho, on sait que, pour lui, aller vers ces sphères ont enrichi son œuvre. Sinon il aurait toujours proposé un peu la même chose, on se serait lassés mais ça n’a pas été le cas : il n’a jamais fait deux albums semblables. Il a toujours autour de lui des nouvelles personnes qui lui permettent de proposer autre chose et cela explique pourquoi au bout de quarante ans il est toujours là !

Si on devait comparer Étienne Daho à quelqu’un ce serait Stanley Kubrick, dont on reconnaît les influences mais qui sait s’en servir. N’est-ce pas la marque du talent ?

J’aurais l’impression de passer pour l’éternel fan en répondant oui (rires) mais c’est ça ! Cette volonté d’aller vers des choses différentes, nouvelles, le maintien dans une jeunesse d’esprit. Il n’y a qu’à lire les articles qui lui sont consacrés, on y parle de « prince de la pop » ou d’« éternel adolescent ». On a même inventé un mot pour le définir : « Daholescent » !

Il y a aussi un côté très sombre chez Daho ?

C’est vrai. Quand je parle avec les lecteurs sur les salons, ils retiennent surtout ce côté sautillant et léger des années 80. C’est lui, il ne le renie pas. Mais c’est aussi quelqu’un qui chante du Genet. Sur « Blitz » il y a aussi des chansons sombres qui parlent des attentats. Pourtant, si je fais une playlist d’Étienne Daho, les gens vont me demander ses titres des années 80 ou 90, les choses plus dansantes. Cette noirceur fait partie de son œuvre. Daho est aussi quelqu’un qui s’est rapproché du monde extérieur après « L’Invitation » qui est son album le plus personnel. Avec ce disque, il a dit tout ce qu’il avait à dire sur sa vie d’homme et de fils. Le disque se termine sur « Cap Falcon » qui est la chanson d’un être qui a trouvé l’apaisement sur le plan intime.

Plus on avance dans son œuvre, plus il faut aller loin pour chercher ses références ?

Oui, si bien que je pense qu’à la fin j’en ai oublié mais la liste n’est pas exhaustive. Il me manque des pièces mais on ne peut pas tout connaître ! C’est un ouvrage à compléter. Mes recherches ont tenu parfois du hasard. Je pouvais lire pour moi, par plaisir, du William S Burroughs, par exemple : dans « Les Garçons sauvages », un passage m’a fait penser aux paroles d’une chanson d’Étienne Daho. Alors, j’ai comparé les textes et j’ai découvert que le champ lexical était le même.

C’est aussi visible ?

Depuis quelques albums, c’est plus caché. Il faudrait lui demander si les références que j’ai trouvées étaient voulues ou si je n’ai pas été trop loin (rires).

Vois-tu aujourd’hui un artiste qui peut reprendre le flambeau de Daho ?

Je pense spontanément à Malik Djoudi. Même si leurs créations sont différentes, il y a quelque chose de l’ordre de la curiosité et de l’expérimentation musicale qui sont similaires. Je ne vois pas vraiment quelqu’un d’autre qui a cette culture, cette envie de découverte. Daho est souvent chez les disquaires ou les libraires. Pour avoir un telle carrière, il faut ça pour pouvoir proposer des chansons qui parlent d’autres choses que de son nombril. Il faut « se nourrir » tout le temps. Il y a plein de gens qui font des choses très bien mais je ne vois pas quelqu’un qui a cette puissance culturelle. Peut-être Alex Beaupain qui creuse le même sillon et qui, d’ailleurs, est très fan d’Étienne Daho.

En lisant ton livre, on a l’impression qu’Étienne Daho passe sa vie à lire, à écouter ou à voir des choses. C’est assez incroyable !

Je suis aussi surpris : je me demande souvent comment il fait ! Il doit se coucher tard (rires). Je pense, plus sérieusement que c’est naturel chez lui et quand il découvre quelque chose, il veut le faire partager. Je suis un peu comme lui : quand je découvre un artiste ou un film, j’ai envie de la faire découvrir aux autres qui, à leur tour, m’enrichissent avec leurs retours et leur propre culture. C’est cette curiosité naturelle qui m’a permis de trouver assez facilement ces références dans l’œuvre de Daho.

On parle de ton éditeur ?

Mes éditeurs tu veux dire ? (rires) Chicmedias Éditions et Médiapop Éditions qui n’en sont pas à leur première collaboration. Je suis ravi de cette rencontre. Ce sont deux éditeurs modestes mais qui font un travail magnifique.

C’est une coédition ?

Oui, c’est un livre qui coûte assez cher : 400 pages, pleins de photos en couleurs, imprimé en France… Tout ça a un coût. L’éditeur de Mediapop voulait sortir ce livre mais il n’avait pas le temps pour la création du livre mais l’éditeur de Chicmedias, lui, était en mesure d’en dégager. Ce sont des fans d’Étienne Daho et ils ont vraiment adoré travailler dessus. L’équipe a vraiment bien fonctionné !

Quel disque d’Étienne Daho tu conseillerais pour rentrer dans son univers ?

Houlà, c’est compliqué ! Je parle souvent de « Paris ailleurs », même si c’est le sommet de la Dahomania et l’album où il y a eu le plus de singles sortis (cinq en tout), ça reste un album très riche et qui n’a pas livré tous ses secrets. Je m’en suis aperçu avec mon livre. Tout le monde peut se retrouver dans ce disque. Il y a un côté dansant, un côté rock, un côté soul, un côté plus chanson française… On peut piocher ce qu’on veut dedans et ne pas être déçu !

Quels sont tes projets d’auteur ?

Je suis redevenu romancier ! J’ai un roman contemporain achevé qui vient tout juste d’être accepté par un éditeur. Et là je suis en train de terminer un nouveau roman, historique celui-ci.

Dahovision(s) par Sébastien Monod – Chicmedias Éditions et Médiapop Éditions

https://mediapop-editions.fr/catalogue/dahovisions/