Comment la musique est entrée dans ta vie ?
Mon père écoutait du jazz et mon grand frère était à fond dans le rock. Très jeune il m’a emmené voir des concerts. Je devais avoir 14 ans quand j’ai vu les Stones.
Tu étais déjà à Lyon ?
Oui, j’ai grandi sur les pentes de la Croix rousse dans le quartier populaire des canuts lyonnais.
Tu as commencé quand à jouer de la guitare ?
J’avais 14 ans, mon frère a amené une guitare. Il n’a pas dépassé le stade fatidique des barrés (rires). Moi, j’ai continué !
Tu as rencontré Robert Lapassade (chanteur de Killdozer et des Snappin Boys, NDLR) au lycée et ensemble vous êtes allés à Givors ?
On s’est rencontré dans un lycée à Lyon. Il avait des disques sous le bras, j’avais une guitare. On a su qu’on était de la même tribu, on est potes depuis 50 ans. Il est devenu le premier manager de Ganafoul. Il chantait et a monté Killdozer avec Edouard Gonzalez, le guitariste qui a fondé Ganafoul.
Ganafoul existait avant ton arrivée ?
Yves « Rotache » Rotacher (batterie), Edouard « Doudou » Gonzalez (guitare), Philippe Veaux dit « Fourmi » (basse), Jean Yves Astier (chant) ont commencé le groupe en 1974, je suis arrivé courant 75.
Ça veut dire quoi Ganafoul ?
C’est une expression tirée du langage de rue des jeunes de Givors que la police ne pouvait pas comprendre. « Ganafoul » pourrait se traduire par « comme un fou », parait-il.
C’étaient quoi les influences du groupe ?
Le blues électrique, le rock and roll hyper speed de Johnny Winter, le boogie à la Status Quo, le Mc5, Aerosmith. On rêvait d’être connu comme les Variations, le plus grand groupe français de l’époque pour nous.
Il va y avoir une séparation de Ganafoul mais en 1976, le groupe renaît avec toi à la guitare et au chant, Jean Yves Astier à la basse et le batteur Yves Rotacher.
Dans la première formation (un quintet) Jean Yves Astier était au chant mais c’était aussi un excellent bassiste. Le groupe est devenu un trio avec Jean Yves à la basse et Rotache à la batterie. On a beaucoup répété, commencé à jouer dans la région, composé les titres qui seront dans notre premier album.
Little Bob qui va être très important pour la carrière du groupe : vous allez le retrouver régulièrement ?
On l’a rencontré pour la première fois lors d’un voyage à Londres. On allait tous les soirs au Marquee Club où on a vu AC/DC qui venait de débarquer en Angleterre. Little Bob Story jouait dans un pub en banlieue, on a été au concert, à la fin on a discuté avec eux. Six mois après, on faisait leur première partie à Lyon, salle de la Cigale. Bob nous a mis en contact avec le label Crypto de Belfort. On a enregistré « Saturday night » en août 1977. On est parti en tournée avec Bob en septembre.
Est-ce que le fait de venir de Givors, une ville très industrielle, a joué sur votre musique ?
On traversait le couloir de la chimie pour aller répéter dans un local à côté des abattoirs. Tout ça ce n’était pas très « peace and love », notre musique non plus.
C’était le rock ou l’usine ?
La musique a toujours été un moyen de se sortir du quotidien.
Vous faites un premier album « Saturday Night » : tu en étais content ?
On n’avait aucune expérience du studio. On ne s’est pas posé de questions. On a joué live notre répertoire, rajouté voix et soli de guitare. Enregistré-mixé dans l’urgence en neuf jours, « Saturday night » représente bien ce qu’on était à cette époque.
Tu as tout composé, tout écrit et tu chantes sur tous les morceaux ?
Les autres ont apporté beaucoup d’idées pour finaliser les chansons. Je jouais de la guitare sans arrêt, je trouvais des riffs. Je connaissais toutes les paroles des Rolling Stones, ça me suffisait pour bidouiller des textes primaires. Ce n’était pas du Shakespeare, je cherchais juste un sujet, le rythme et le son.
Vous avez beaucoup tourné ?
Oui. En jouant chaque fois comme si c’était la dernière fois, on a gagné un vrai public !
A l’époque à Lyon il y a deux sortes de groupes : les groupes un peu prolos comme vous, Killdozer ou Factory et les groupes punk plus étudiant comme Starshooter, Electric Callas ou Marie et les Garçons, qui étaient plus médiatisés. Vous avez souffert de cette différence ?
On a été snobés par certains médias c’est vrai. Pour eux on était juste des ploucs de province jouant une musique dépassée. Heureusement on avait un public qui nous soutenait.
Vous avez rencontré le succès avec 500 ou 600 personnes par concert. Ce qui était très important pour l’époque.
On a fait de bons concerts et participé à tous les grands festivals de l’époque : Orange, Fourvière, Bourges, la Fête de l’Huma… Notre vie était sur la route, les stations d’autoroutes on les connaissait toutes.
Il va y avoir un deuxième album avec un changement de batteur. Bernard Antoine, un très grand batteur arrive.
Le départ de Rotache a été un coup dur, impensable pour nous d’imaginer jouer sans lui. On avait des dates à honorer et on a appelé Bernard qui venait juste d’arriver sur Lyon. Il avait joué avec pas mal de groupes, quelques concerts avec les Variations, un must pour nous. Il avait la pêche et était motivé. Pas le temps de répéter, il a appris en écoutant des cassettes tout en conduisant vers la Bretagne.
Et c’est là que vous avez enregistré « Full Speed ahaed » votre disque le plus emblématique ?
Avec le temps la machine roulait bien, on y croyait et on avait de bonnes chansons. Le disque s’est bien vendu, on a passé un nouveau palier.
Vous avez joué avec beaucoup de monde : Dire Straits, Van Halen, Little Bob… Beaucoup de festivals, des tournées à l’étranger… un beau succès !
On a participé à beaucoup de festivals avec des groupes étrangers. On a surtout écumé la France et fait quelques intrusions en Belgique, Allemagne, Italie, Suisse… Notre label n’avait pas trop les moyens de nous envoyer à l’étranger.
Et puis le troisième album sera un live « Live route 77 ».
Il avait été enregistré au moment du premier album dans un festival des groupes Crypto à Belfort.
Pourquoi faire un live de cette époque ?
Jean Claude Pognant, le boss du label (qui était aussi le manager du groupe Ange), nous a envoyé mixer ces bandes au studio d’Hérouville. Un jour dans la vitrine du disquaire, j’ai vu le disque, on était pas au courant de la sortie. Il a été rapide, a joué sur la popularité du groupe.
Quand vous allez attaquer le quatrième album, vos influences avaient beaucoup évolué ?
Quelques nouvelles influences. Comme la guitare rythmique reggae dans la chanson« Sometimes » qui s’est retrouvé dans le Hit-Parade de RTL.
C’est un album qui vous emmène plus vers le hard rock que vers le boogie ?
Je ne sais pas (Silence). L’album est varié. Il y a des chansons plus mélodiques comme « Bad street boy », « Sometimes », toujours du rock dur « Low down inside », du rock à la Stone « I’ve got it bad »
Vous allez passer à ce moment-là chez Antoine de Caunes à « Chorus » ?
Oui, au théâtre de l’Empire, la vidéo est sur YouTube, un bon moment.
Et puis il va y avoir un gros changement pour le nouvel album : vous écrivez en français !
C’était pas mon truc mais on était en fin de contrat, on cherchait un label qui pourrait nous assurer une meilleur promotion. Partout c’était la même condition : chantez en français.
Tu as apprécié ?
C’est pas celui que je préfère, loin de là ! Je garde de mauvais souvenirs de cette époque.
Tu as des regrets ?
Non. Quand Jean Yves est parti, avec Bernard, on a fait le maximum pendant 2 ans pour continuer à faire vivre le groupe avec de nouveaux musiciens. Les temps avaient changé. Au début des années 80, il y avait des synthés partout… La roue avait tourné. On a dû jeter l’éponge
A l’époque il y avait un groupe comme Stocks à Lilles qui rencontrait le succès avec vos recettes. Vous aviez fait « école » ?
Je ne sais pas. Stocks a fait son truc, ils étaient bons.
Après tu vas commencer une carrière solo avec une reprise de « Non je ne regrette rien » d’Edith Piaf avec les meilleurs musiciens de studio de France ?
C’était une bonne expérience de croiser d’aussi bons musiciens, Manu Katche à la batterie, la classe.
Ça n’a pas vraiment rencontré le public
Mon 45 tours est sorti en même temps que « Besoin de rien, envie de toi » de Peter et Sloane, je pouvais pas lutter, j’ai été congédié de chez CBS.
Mais pour quelqu’un comme toi qui venait du rock, ça devait être bizarre : on était loin de Givors et de Ganafoul ?
Oh que oui !!! (rires) J’étais pas à ma place dans cette histoire de course au tube.
Après tu as fait les Jets ?
Je suis vite revenu à ce que j’aime faire. Etre dans un groupe, monter sur scène.
Quand on voit ta carrière, on s’aperçoit que tu adores la guitare.
Quand j’étais gamin, dans les fêtes foraines je rêvais de gagner une guitare électrique italienne « Ohio » à la loterie. Je vis entouré de guitares, c’est bon pour mon équilibre mental. Jouer me permet de communiquer, ça m’a vraiment servi dans mes relations avec les gens.
Et donc les Jets ?
Une formation de 7 musiciens. Ça a duré un temps, c’était très sympa, on a même joué au festival de Bourges.
En 1998 vous reformez Ganafoul pour un live ?
Le label « Bluesy Mind » nous a proposé de sortir un live. On a monté deux concerts au Transbordeur à Lyon, répété une semaine et pris un grand plaisir à retrouver notre public. L’album s’appelle « Crossroads »
Ensuite tu vas faire le DC Blues Band ?
C’était un groupe de blues-rock avec un harmoniciste, j’ai adoré jouer tous ces vieux titres de rythm and blues. On a enregistré un album auto produit plutôt sympa.
Tu vas mettre du temps pour sortir un album solo en 2001, pourquoi si tard ?
Repartir en solo c’est compliqué. Il faut réunir un bon groupe, avoir de bonnes chansons, ta propre identité, montrer que tu en as encore sous le capot, faire de bons concerts chaque fois que tu joues, avoir toujours une actualité médiatique Toute cette démarche a été longue pour moi mais je ne voulais pas laisser tomber. L’album « Mixed blues » est sorti chez Frémeaux et Associés. Bien chroniqué, il m’a permis d’accéder à la programmation des festivals de blues. J’ai ensuite enregistré 7 albums avec plusieurs formations. La dernière en date Jack Bon et les Buzzmen, groupe toujours en activité parallèlement à Ganafoul.
Mais pour le public, tu es le leader de Ganafoul !
Ganafoul est un nom connu qui avait plus d’aura que moi. A la dissolution du groupe, je suis devenu pour certains un « has been » et beaucoup de portes se sont fermées. Faut s’accrocher pour prouver que tu existes encore. Pour exister, il ne faut pas s’arrêter de jouer. J’ai aussi monté une conférence musicale sur l’histoire du blues. Je faisais ça dans les médiathèques, théâtres, écoles, festivals. Grâce à cette conférence, « Blues Boom » j’ai été bien occupé pendant 10 ans.
Et puis il va y avoir un album inédit de Ganafoul qui va sortir et vous allez vous reformer.
Monsieur Christophe Simplex a monté un label (Simplex Records). Il ressort en vinyle, des enregistrements inédits de groupes lyonnais. On avait une démo enregistrée en 75 dans une grange à côté de Lyon par notre sonorisateur de l’époque Gilles Desportes. Au bout de quarante ans, les bandes étaient encore miraculeusement exploitables. « Sider rock » est sorti en 2020.
Qui est dans le nouveau Ganafoul ?
Pour la sortie du vinyle, on a fait une petite fête chez un disquaire et là on a vu qu’on avait encore pas mal de fans. On s’est retrouvé avec l’équipe du début : Yves Rotacher et Edouard Gonzalez. On avait toujours une très forte amitié et la musique nous liait toujours. On a eu des propositions de concerts alors on a remonté le groupe !
Et le bassiste ?
C’est Luc Blackstone, bassiste des Buzzmen. Jean Yves Astier habite dans les îles à Marie Galante. 6000 km, c’était compliqué pour répéter.
Le groupe a été réédité avec succès plusieurs fois ?
Tous les albums réédités en cd une première fois par le label Spalax en 94. En 2022, Le label « Bad Reputation Records » a réédité en cd « Full speed ahead » notre deuxième album, remasterisé avec des inédits live, un beau livret, en attendant la réédition des autres Ganafoul en septembre. Grosse info : on sort un nouvel album début mai toujours avec Bad Reputation.
Tu veux dire qu’il y a un nouveau disque de Ganafoul qui arrive ?
Oui, on a repris les titres qu’on préférait dans notre répertoire, on les a réarrangés, réenregistrés à la sauce 2023. Il y a deux inédits et 3 titres live en bonus.
On a l’impression que vous êtes ravis de vous retrouver ?
C’est le but ! On prend du bon temps ensemble à rejouer notre musique. Le temps passe. Dans 20 ans Ganafoul ne sera plus sur scène, donc on apprécie le moment présent.
Vous allez jouer ailleurs que dans votre région ?
On est déjà bien sorti de chez nous, on recommence à avaler des kms. Ce 10 mai concert à la maison pour lancer la sortie du nouvel album « Roll on » au Rock & Eat-Lyon.
Tu penses quoi de ton parcours ?
Des hauts, des bas, çà aurait pu être mieux ou pire. Depuis l’adolescence, je voulais être musicien, je le suis encore aujourd’hui, c’est ok pour moi.
Le mot de la fin
« It’s only rock & roll but i like it »
Quel disque tu donnerais à un enfant pour l’amener vers la musique ?
Un morceau des Beatles de 3 minutes du style « I saw her standing there » ferait bien l’affaire. Toutes les caractéristiques d’une bonne chanson rock.
Et pas Ganafoul ?
Ça fait mal aux oreilles des petits enfants (rires) !
https://www.facebook.com/groups/338036602993046
https://www.facebook.com/simplexrecords/