Je suis Gilles Riberolles, je suis de Paris. J’ai vécu quelques décennies de musique. Aujourd’hui je suis là pour ma nouvelle formation : Spirit of MyMyMy
Tu as été journaliste musical et musicien en même temps ?
J’ai commencé à écrire dans « Best » fin 77 jusqu’au début des 80’s. J’y suis revenu à la fin des 80’s pour quelques années. En parallèle, J’ai commencé un premier groupe, Casino Music, en 1978. Un groupe qui a été produit par Chris Stein (Guitariste de Blondie, ndlr). C’était un groupe pop dans une logique new wave, after-punk. Puis dans les 80’s j’ai monté les Satanic Majesties.….du psychedelic rythm’n’blues. Plutôt vintage.
Ça rentre comment la musique dans ta vie ?
Mes parents n’avaient pas d’instruments de musique chez eux. Ils avaient juste une pile de 45 tours pour les soirées festives, beaucoup de nanars mais ils avaient un single de Ray Charles « The Danger zone » et « Let’s Twist again » de Chubby Checker. J’avais quatre ans et j’étais vraiment scotché là-dessus. Plus tard la pop culture est arrivée, et même si on n’était pas en Angleterre, j’ai capté tout ce que je pouvais en temps réel, tout jeune, les Beatles, les Rolling Stones, et les autres… cette culture est devenue rapidement le centre de mon univers.
Tu étais ado dans les seventies ?
J’ai vécu le rock de ces années-là, années de collège et de lycée : Led Zeppelin, le Glam-Rock, Les Who, Lou Reed etc… On captait ce qu’on pouvait, c’était une « contre-culture » par procuration. On vivait le truc à travers les journaux, les disques, puis les films, les bouquins. Mais tout le monde ne s’intéressait pas pas çà. Dans les classes on n’était que deux ou trois à aimer le son anglais, américain ou black-américain. Les autres étaient dans la variété française ou le rock progressif. On adorait les groupes de rythm ’n’ blues anglais.
Ton premier groupe c’est Casino music ?
Casino Music fut mon premier « vrai groupe », avec disques et concerts. Casino Music était assez naïf mais on annonçait ce qui allait suivre….Le groupe a eu un certain feed-back au Japon et en Angleterre.
Tu es aussi le seul français dont une des photos illustre un album de David Bowie !
Oui, j’avais pris une photo de lui sur scène en 78, et il s’en est servi pour la pochette de « Stage »… recto, verso, les affiches, les bacs à disques … Un jour je suis sorti du métro à Times Square et j’ai vu ma photo haute de dix mètres sur un panneau publicitaire !
Après tu fondes les Satanic Majesties. C’est là que tu plonges dans le blues ?
Plutôt dans le punk 60’s, le garage rythm’n’blues. Mais c’était un retour à certaines sources. J’ai toujours été sensible à l’apport afro-américain dans la musique. Blues, rythm’n’blues et jazz aussi. C’est ma constante beatnik, ou mods. Casino Music avait déjà un peu de ça, un côté funky,.. une bonne part du style et de l’esprit rock and roll vient du blues et du rythm’n’blues. Tout le rock anglais des 60’s et 70’s s’est appuyé dessus. Led Zeppelin, les Yardbirds, les Who, les Rolling Stones et même les Beatles viennent de là. Satanic Majesties m’a permis de me ressourcer en ces 80’s confuses où le rock se satellisait, se « communautarisait". Le rock avait été l’emblème de la contre culture , mais à partir des 80’s il se changeait en culture underground.
Dans les années 80 le rock et la musique sont devenus un vrai business et le côté revendicateur et culturel de la musique ont disparu dans ces années-là ?
Après le souffle du punk , de la new wave et des labels indépendants, à partir des 80’s, le marketing et le business prennent le contrôle absolu de la « pop culture » qui devient une culture comme une autre, un maillon de plus à la chaîne de la consommation sans efforts….et donc, à part pour quelques niches ou la musique se vivait encore, c’est l’esprit de liberté qui s’est dilué. Tout ce qu’on appelait « la contre culture », la libre pensée, l’individualisme. Avec les samplers, le marketing-roi puis les réseaux sociaux, tout s’est encore plus formaté, rigidifié.
A partir de 2000 tu as fait un groupe de blues : Jumbo Layer ?
Ce n’était pas un groupe de blues. Jumbo Layer comme presque tout ce que j’ai fait en musique suivait ce même principe : un esprit rock and roll et une nette influence afro-américaine. Jumbo Layer était une formation libre de ses mouvements : il y a eu un premier album un peu électro, puis un second plus cru, plus garage, et un troisième plus baroque en 2015. C’est dans celui ci qu’on trouve la version originale du morceau co-écrit avec Chris Stein pour Blondie. « Le Bleu à l’âme ».
Tu as passé beaucoup de temps à la Nouvelle Orléans qui est peut être un des derniers endroits au monde où la musique est synonyme de liberté. Tu essayes de montrer que la musique n’est pas qu’un spectacle ou un divertissement .
Tu as raison. La musique n’est pas que du loisir. C’est une culture, un état d’esprit, une manière d’être …. La Nouvelle Orléans est le seul endroit au monde d’aujourd’hui où il existe une scène comme on pouvait l’envisager dans les sixties ou les seventies.
Tu y es allé quand pour la première fois ?
J’y suis allé pour Best voir les Rolling Stones au Superdome vers 78, et j’ai eu une sensation un peu particulière. En re-écoutant les disques, en cherchant les références, en comprenant l’imbrication des styles, j’ai découvert que beaucoup de choses me ramenaient à la Nouvelle Orléans. En creusant, j’ai compris que c’était la ville qui était à l’origine du rock and roll avec Fats Domino dès 1949, bien avant Bill Haley, Elvis Presley ou Ike Turner. Le jazz aussi bien sûr. Et James Brown qui affirme que son style de drumming, le « funky drummer », sa signature rythmique, vient de la Nouvelle Orléans… Je me suis rendu compte que cette ville était le creuset de la musique du 20e siècle dans presque tous ses aspects.
Tu n’as jamais vécu là-bas ?
Non. Dans les années 2010, j’ai décidé d’y aller, mais pas en simple touriste. Je n’y connaissais personne, je suis donc parti avec l’idée de tourner un film, pour témoigner… et toutes les portes se sont ouvertes comme par magie ! Avec ma petite caméra, j’ai tourné ce premier documentaire, « Lookin’ for Fats », et là John Sinair (Ex manager du Mc5 et fondateur des White Pthe, r) s’est branché sur mon histoire….Il est devenu le guide et l’initiateur de mon second documentaire « We Love Big Chief », qui est un hommage à la culture black de New Orleans et plus particulièrement aux Mardi Gras Indians.
On parle de John Sinclair ?
C’est un activiste depuis les 60’s. Il a écrit plusieurs livres. Il est reconnu comme un personnage central de la contre-culture américaine. C’est lui qui a révélé le MC5 et les Stooges. Il est à l’origine de beaucoup de choses. Il a notamment fondé les White Panthers en soutien aux Black Panthers à l’époque. C’est mon ami Marc Zermati qui me l’a présenté. Il l’appelait « le clochard céleste ». En 70 le gouvernement Américain avait jeté John Sinclair en prison pour deux joints. Il était identifié comme une menace par le FBI d’Edgar Hoover. Finalement après deux années d’incarcération, John Lennon a fait une chanson sur lui, a défendu sa cause aux cotés de Sun Ra, Stevie Wonder et d’autres…ce qui a permis de le libérer. John est le dernier Beatnik historique. Il vit aujourd’hui entre Détroit, Amsterdam et la Nouvelle Orléans. Il est un peu âgé mais il continue de faire des disques et d’animer sa station de radio : « radio free-amsterdam ».
Pourquoi tu changes de nom, tu passes de Jumbo Layer à Spirit of MyMyMy ?
C’est un nouvel élan, un nouveau karma … Spirit of MyMyMy est un projet qui me démangeait depuis mon dernier séjour à New Orleans. J’ai eu une intuition globale sur l’ensemble du truc.
Tu as commencé quand ce projet ?
J’ai commencé à travailler sur l’album il y a cinq ans.
Pourquoi ce nom ?
C’est une expression qu’utilise souvent Little Richard, « My, My, My… ! ». Ça ne veut rien dire en fait !
Ton disque essaye de conserver l’âme du blues ?
Pas si sûr. Ce qui est certain c’est qu’il ne se situe pas dans la « hype » du moment. J’ai essayé d’être hors des sentiers battus, d’être dans le plaisir et la jubilation mais aussi dans une certaine profondeur. C’est un album qui s’est laissé guider par sa soul.
Ce n’était pas trop compliqué de faire un disque pareil à Paris et pas à la Nouvelle Orléans ?
Comme je fais tout chez moi, j’ai une totale liberté. Je ne dépends de personne. Mais il y a eu de magnifiques intervenants sur cet album.
Pourquoi ce titre « My Pleasure, my Pain » ?
Le plaisir, la souffrance…c’est entre ces deux pôles qu’évolue la musique. Et même la condition humaine !
Tu as des reprises et des originaux sur ton disque ?
Il y a deux reprises que j’ai largement adaptées. Un Slim Harpo et le « High Blood Pressure », de Huey « Piano » Smith. Sinon ce sont 10 titres originaux conçus avec quelques intervenants : Tom Worrell qui est un pianiste très reconnu là-bas, Marc Stone, un guitariste et un disc jockey en vue à la Nouvelle Orléans qui est venu chez moi à Paris pendant quelques jours… on a pu enregistrer sa guitare slide magique. Mickey Blow l’ex-harmoniciste des Stunners, et qui joue maintenant avec Little Bob. En dehors des musiciens, une chanteuse italienne, Elli de Mon, chante deux titres. Elle est très branchée blues roots.
Ils parlent de quoi tes textes ?
Rêverie, frustration, célébration, sensualité…ils parlent des femmes, du rock ‘n roll, de la liberté, des Mardi Gras Indians …
Mais tu vas à contre-courant de la musique aujourd’hui avec un disque pareil : dans un monde plein de télé crochet et de star « youtube » tu arrives avec un disque pareil ?
Si la jauge est calée sur ce qu’on entend dans les médias français, c’est sûr que je suis hors jeu ! La musique que j’entends en moi est individualiste et libertaire. Elle se situe au delà des problématiques sexistes, racialistes, genrées etc… qui sont des débats d’arrière garde, pour lesquels les mondes du rock et du jazz se sont battu, et ont trouvé les clefs il y a des décennies déjà.
Mais tu as fait à un moment de la chanson réaliste avec Patrick Eudeline. Est-ce que la chanson réaliste ne serait pas le blues français ?
Je ne suis pas né à New Orleans ou à Chicago, mais on a tous besoin de racines… Avec Patrick, à une époque, on a vraiment creusé pour essayer de dégager des racines. On est allé chercher des trucs comme Brel ou de la chanson réaliste avec certains morceaux de Fréhel ou de Damia. Et puis on a enregistré chez moi le disque de Patrick « Patrick & Myriam », son idée à lui d’un blues à la Française.
Mais cette musique que tu as fait il y a plus de vingt ans, si on l’envoie aux USA, ça devient le blues ?
C’est une musique avec une émotion à fleur de peau. Piaf, « l’hymne à l’amour » c’est pas du blues pourtant ça en est, comme certains titres de Brel. Tu comprends que c’est un esprit, le blues, ce n’est pas qu’une formule musicale.
Pour toi qui est un enfant du rock, est ce que le blues de la Nouvelle Orléans te répondait par rapport à la chanson française ?
Si on cherche des racines françaises à la musique mélancolique soutenue par un beat, c’est en Louisiane et à La Nouvelle Orleans que l’on peut en trouver. La musicalité Celte issue des folklores français et conservée par les Cajuns, le zydeco, très souvent exprimé en Français, la Nouvelle Orléans qui est une ville aux racines françaises, jusqu’aux Mardi Gras Indians dont beaucoup portent des noms français….
Tu n’as pas peur de tomber dans le côté musicologue ?
Ce n’est pas tomber que de comprendre, c’est même plutôt le contraire.
Ton disque a un vrai fond, une dimension culturelle …
Merci, j’ai essayé de n’être pas que dans l’air du temps.
Tu sors cet album chez Milano Records ?
Je connais Grégoire Garrigues depuis longtemps ! Je voulais faire exister ce disque avec quelqu’un sur la même longueur d’onde que moi. C’était le cas de Grégoire. Je ne pouvais pas espérer mieux. Avec Milano il y a plein de choses à faire en connivence.
Il sort quand ?
Imminent pour le vinyle et déjà disponible en CD.
Ça va se passer comment sur scène ?
A quatre je pense : un batteur, un bassiste, un tromboniste et moi à la guitare et au chant.
Quels sont les retours ?
Très bons retours pour l’instant : radio, presse.
Tu n’as pas de projet de livre ?
Pas de projet, mais quelque chose qui me trotte dans la tête….
Le mot de la fin ?
Keep it groovy boys and girls… ! Soyez heureux et écoutez de la bonne musique, sentez vous libres ! allez chercher les bons trucs et les bons labels. L’essence du rock, et du jazz aussi, c’est la liberté, le style et la créativité, dépassez les convenances.