Je suis né à Paris, mais mes parents se sont installés à Redon en 1967. J’ai fait mes études là-bas et c’est au lycée que j’ai découvert la musique. Il y avait un tourne-disque chez mes parents et il y a un âge où tu as envie de découvrir autre chose que ce que tu entends chez toi. Je me suis plongé dans les Beatles, les Rolling Stones… Des choses assez génériques et puis j’ai eu l’idée d’écouter la radio. Notamment France Inter où il y avait Patrice Blanc-Francard et Bernard Lenoir. Deux émissions qui passaient à la suite et j’enregistrais ça sur un radiocassette. Je me faisais des compilations sans savoir la plupart du temps qui j’avais enregistré...
Tu étais toujours à Redon ?
Oui, c’est l’époque où c’était bien de jouer d’un instrument. Pendant les permanences et les grèves au lycée tu te mettais sur la pelouse et tu jouais des trucs comme « Jolie bouteille » et les filles te regardaient (rires)... C’est comme ça que mes parents m’ont acheté ma première guitare et que j’ai commencé à apprendre avec la méthode à Dadi, celle de Marcel Dadi, un grand guitariste de picking. C’était pas trop mon truc et puis un jour dans « Best » (le journal Ndlr) ils ont eu la bonne idée de faire paraître des tablatures en fin de journal avec des grands classiques. C’était davantage un truc qui me parlait et j’ai commencé à me débrouiller avec ça. y’avait pas internet ni cd évidemment.
A la base tu es guitariste ?
Quand tu es à Redon et que tu veux jouer d’un instrument, tu ne vas pas naturellement vers la basse. C’est la new wave qui a amené la basse au premier plan. Avant, il y avait évidemment de superbes bassistes comme Pastorius, mais le Jazz et la fusion, à cette époque, ne m’intéressaient pas du tout. Nos héros c’étaient les guitaristes !
Et ensuite ?
Je suis parti à Nantes à la fin des années 70 dans une école de commerce. Là, j’ai rencontré Arnold Turboust. C’était bizarre, on était presque les deux seuls mecs dans cette école. On a commencé à parler musique et il m’a dit qu’il avait joué sur un disque. C’était incroyable pour moi. Il avait joué l’intro de piano du titre “Conrad Veidt” sur Dantzig Twist de Marquis de Sade. C’était un copain de Eric Moriniére le batteur du groupe, qui l’avait contacté pour faire ça. On a commencé avec Arnold à bidouiller des trucs avec des claviers, synthé et guitare dans nos appartements. Rapidement, on a cherché d’autres gens pour jouer avec nous. On allait souvent au RU (restaurant universitaire, ndlr) et là, j’ai vu une annonce avec « batteur et bassiste cherchent guitaristes », il y avait un numéro de téléphone et une adresse. J’y vais et là je tombe sur Pierre Thomas. Je lui dit que j’étais guitariste et que je connaissais un super clavier qui avait joué avec Marquis de Sade. Là Pierre a fait une drôle de tête : il avait joué avec Marquis de Sade lui aussi, mais s’en était fait virer quelques années avant.
Et donc ?
On a réussi à mettre ce groupe en place avec le bassiste Philippe Daniau qui est toujours à Nantes et Gilles Rétière qui était alors une sorte de Iggy Pop local avec une voix profonde, et un physique qu’on remarquait. Il n’y avait pas grand-chose musicalement à Nantes à l’époque et donc sous le nom de Private Jokes on a réussi à se faire assez rapidement un nom.
Tout de suite le groupe a été incorporé à la scène rennaise, ce qui est bizarre pour un groupe nantais ?
Il y avait vraiment à Rennes un condensé de la musique que l’on écoutait à l’époque. Marquis de Sade cartonnait et pour nous Rennes c’était la ville lumière. A « l’Espace » à Rennes il y avait pleins de concerts comme Cure, Simple Minds, OMD … A Nantes il n’y avait rien, mais alors rien … Dés qu’on arrivait à Rennes, avec Arnold, on ne manquait pas de traîner avec les mecs de la scène rennaise. C’était la ville où il fallait être. On a tenu à Nantes une grosse année comme ça. On avait quand même réussi à jouer au Trans par exemple. On a joué aussi à Rock in Loft à Paris, avec Tuxedomoon et Indoor Life... C’était incroyable pour moi.
Qu’est ce qui s’est passé ?
Arnold et moi, on entretenait des rapports de plus en plus proches avec Rennes. Il y avait ce bar, « l’Epée » où traînaient les musiciens. Un jour on a vu un jeune mec arriver, un certain Etienne qui cherchait des musiciens (rires), on l’a envoyé bouler (rires), bon Arnold a réussi quand même à nouer des liens avec lui et ils ont fait ensemble cette carrière incroyable. Mais au bout d’ un an et demi, notre groupe a splitté.
Il y a eu des disques ?
On a sorti des titres sur une compilation « Bande de France » de Michel Embareck. On a fait quelques maquettes pour Polydor et après, bien après il y a eu une face d’album posthume. On avait gagné un concours à Rennes et le premier prix c’était deux jours à DB à Rennes.
Et qu’est ce qui s’est passé ?
Quand Marquis de Sade, le “grand frère”, a splitté, Frank Darcel a monté un nouveau groupe : Octobre. Il a appelé Arnold et aussitôt ce dernier est parti pour Rennes. Franchement en 12 heures il avait plié bagage et il était parti (rires). Je ne lui en veut pas. J’aurais fait pareil.
Et c’est là que arrive Marc Seberg ?
C’est lié ! A la fin de Marquis de Sade et de Private Joke, qui avait splitté, on s’est retrouvé, Pierre Thomas et moi, à tourner en rond à Nantes. On n’avait plus de nouvelles de personne. j’étais mal parce que j’avais arrêté mes études. Un jour Pierre me dit que Philipe Pascal venait à Nantes et qu’ il allait prendre l’apéro chez lui. J’avais déjà rencontré Philippe, mais là c’était intimidant, c’était presque intime. Il nous annonce qu’il commençait lui aussi un nouveau groupe avec Anzia et les mecs de Frakture. Visiblement ça se passait pas très bien et il cherchait des musiciens pour la basse et la batterie. Pierre lui a dit tout de suite qu’il était ok pour jouer avec lui et là, Philippe dit : « Ok ! Mais il me faut aussi un bassiste ». Moi je pousse du coude et je lui dit : « Moi je joue de la basse ! je veux essayer ! ». Il me regarde alors et me dit : « Tu es bassiste ? Je croyais que tu étais guitariste ? ». Je lui réponds : « je joue aussi de la basse ! ». Je n’en avais jamais joué. Véridique ! (rires).
(rires) Et donc ?
Il nous a donné rendez-vous deux semaines après à Rennes et il est parti. On s’est retrouvé là tous les deux avec Pierre, un peu abasourdis. Inutile de dire qu’on a vite préparé notre futur départ pour Rennes. Je me suis fait prêter une basse. C’était une Fender Mustang 3/4 avec un manche assez court. Philippe nous avait laissé la cassette avec les premières maquettes de Marc Seberg. Pendant deux semaines j’ai bossé comme un fou.
Et là ça démarre ?
Tout d’abord Philippe m’a hébergé chez lui quelque temps avec Pierre. Avant la première répétition je suis allé voir Anzia qui avait un quatre pistes. Je lui ai proposé de me le prêter pour bricoler une petite maquette. J’ai fait une sorte de boudin avec pleins d’effets et une petite boîte à rythmes. Bon, quand ce dernier est rentré le soir il était un peu … dubitatif ! A l’époque il aimait les sons clairs des Stratocasters et moi j’avais mis pleins d’effets ! Philippe a adoré. Ce n’était pas des morceaux juste des idées. On a commencé à répéter et six mois plus tard on était en studio pour enregistrer 83 avec Steve Hillage.
C’est un groupe qui a marqué la musique en France ! Quel est ton avis sur le groupe ?
D’abord, ce premier album : Pour moi le premier album est un très grand souvenir. On était en studio dans une ancienne ferme avec Steve Hillage et on construisait ce truc incroyable. On découvrait chaque jour avec effarement et bonheur cette musique. Ça a été très intense.
Ensuite y’a eu les concerts. C’était intense aussi, parce que quand tu joues avec un Philippe Pascal et que le Philippe Pascal est en forme, c’est une expérience fabuleuse et qui n’est pas banale ! Ça marque une vie … On a vécu les uns sur les autres pendant 10 ans. Il y a eu des hauts, souvent. Mais aussi des bas. Parfois on tournait en rond, on travaillait mais ça débouchait sur rien … J’ai vraiment plein de souvenirs, par exemple le concert de New York à la « Dancetaria ». On y avait donc joué, et le lendemain on était au « World Trade Center » voir le couché de soleil sur Manhattan. Je me rappelle aussi des concerts en Amérique Centrale, dont un dans un stade de foot. Concert sponsorisé par Coca Cola avec un public du cru qui ne connaissait pas ce genre de musique. Au Honduras il a fallu demander aux gens de quitter la scène et la police les a sortis violemment à coup de matraques. Du coup, on ne voulait pas jouer. Mais pour éviter l’émeute (Il y avait bien 3000 personnes, le concert était gratuit) on a joué quand même. C’était incroyable. Une autre fois, dans un gymnase les gens hurlaient de joie, étaient en totale communion avec nous. On a joué ce soir là à un niveau dingue…
Vous avez commencé à quatre et vous avez fini à cinq avec Pascale le Berre aux claviers ?
On partageait un local avec Complot Bronswick. Pascale jouait avec eux. Les Complot m’avaient proposé de jouer avec eux sur leur premier mini lp en tant que bassiste et réalisateur. Ils pensaient que je savais faire ça et ma foi... On a coréalisé et je m’entendais bien avec Pascale. Quand on a cherché un clavier pour Seberg, j’ai dû la proposer et voilà.
Le groupe a beaucoup évolué en dix ans ?
Au bout de dix ans à répéter tous les jours, on jouait beaucoup mieux mais il y avait de la lassitude. A la fin du groupe il y avait moins de spontanéité parce que tous les morceaux avaient énormément été travaillés. Disons que le côté punk et spontané avait été petit à petit remplacé par un truc plus pro. On avait aussi la volonté plus ou moins consciente d’aller vers des musiques plus positives voire dansantes et accessibles. Au bout de dix ans quand on a fait « Le bout des nerfs » (le quatrième album Ndlr), on était en fin de vie. On s’entendait toujours bien, mais il y avait vraiment de la lassitude ! Un peu comme dans certains couples. (rires)
Pendant Marc Seberg tu étais celui qui avait le plus de projet à côté ?
Philippe et Pascale étaient très casaniers, ils avaient une vie rangée. Anzia était un grand sportif, qui pensait beaucoup à son hygiène de vie. Moi je sortais beaucoup le soir notamment, et je croisais des gens et c’est comme ça que j’ai participé à des projets à côté ! J’avais un grand ami qui était Frederic Renaud (ex guitariste des Nus, de Marquis de Sade et de Dominic Sonic Ndlr, ainsi qu’Etienne et même Bashung) qui venait de Redon comme moi. Comme il avait fait un premier 45 t, à l’époque ou j’étais lycéen à Redon justement, c’était un peu mon héros ! Quand je l’ai vraiment rencontré, j’ai découvert un super guitariste et un super ami. A la fin des Nus quand Christian a essayé de remonter un groupe avec Fred et bien ils m’ont demandé de jouer avec eux sur un 45 t de Dargelos.
Il y a eu Dominic Sonic ?
Avec Dom, on avait vraiment beaucoup sympathisé : on aimait souvent les mêmes musiques et on partageait plein de trucs (rires). Il m’avait demandé de jouer sur son premier album « Cold Tears » et plus tard je l’ai rejoint souvent en tournée ainsi que sur son deuxième album.
Marc Seberg s’arrête ?
Oui. Avec quelques tensions. Mais on est resté en bons termes. Les albums ont eu de la reconnaissance mais ça n’a pas explosé comme cela aurait pu être.
Tu as envie de parler de Philippe Pascal ?
Bien sûr, c’est quelqu’un avec qui j’ai passé dix ans, donc je le connaissais bien ! Il dégageait une aura particulière, quand il rentrait dans une pièce, les gens s’arrêtaient de parler, et le regardaient. Ça le gênait beaucoup. Il l’a raconté lui-même : Il avait été un temps, instituteur. Mais il semble que les gosses avaient peur de lui (rires). C’était un grand timide. Il avait des zones de fragilité, il rigolait beaucoup mais il avait des phases extrêmement difficiles. Les disques ont été enfantés parfois dans la douleur : il doutait beaucoup de lui-même. Je le savais fragile, passionné, passionnant, mais fragile. Pour te donner un exemple il y a quelques années j’ai recroisé Pascal Obispo qui était un grand, très grand admirateur de Philippe. C’était un peu un père spirituel pour lui. Son rêve aurait été de lui faire un album ! Pascal m’a alors proposé de me prêter son studio pour qu’on fasse tous les deux un album pour Philippe. J’ai dit oui, immédiatement. J’ai repris contact avec Philippe, et il m’a dit qu’il était d’accord pour essayer. Durant presque deux ans j’ai fait des allers/retours entre Rennes et Paris pour écrire une quinzaine de morceaux avec Pascal. Au début Philippe a validé tout ce que on lui proposait et puis au bout de deux ans il nous a dit qu’il ne sentait pas le truc, il ne voulait pas retourner à cette vie-là, il ne trouvait pas vraiment l’inspiration pour écrire. Il était désolé qu’on ait passé du temps sur ce projet, mais non, il ne le ferait pas. On a accepté sa décision. Quand moins d’un an après il est remonté sur scène avec Marquis de Sade avec toute la promotion autour, je n’ai pas vraiment compris. C’est ensuite que j’ai compris que l’idée était de faire ce concert unique avec Marquis de Sade pour jouer principalement Dantzig twist (le premier lp). J’ai compris beaucoup de choses le jour où je lui ai posté un clip de PIL qui jouait en live, “Public Image”. Un titre qu’on aimait beaucoup tous les deux, et que Seberg avait joué d’ailleurs aux Trans... Il m’avait répondu que les rockers de 62 ans le faisaient plutôt rigoler. D’où ma surprise, connaissant le bonhomme, qu’il reprenne du service avec Marquis de Sade. C’était un peu étonnant ce concert … Il n’aurait peut-être pas dû. Je ne sais pas en fait. Quoi qu’il en soit, lors de ce grand retour, lui et le groupe étaient éblouissants...
Ensuite après Marc Seberg, tu fais le deuxième album de Dominic Sonic avec Fred Renaud où il y avait une reprise des Nus et après tu disparais du monde de la musique.
(Rires) Oui, j’ai joué quelques temps avec une chanteuse, Lydie Vendredi, qui faisait des supers chansons au piano. Une voix un peu à la Birkin. Chouette parenthèse… Puis après, je suis parti faire tout autre chose pendant dix à douze ans. J’étais arrivé à un stade de ma vie où je sentais qu’il fallait que je change de vie : je sortais beaucoup, je n’avais plus de projets immédiats… Je me suis coupé volontairement du monde de la musique et je suis devenu commerçant. J’ai géré un magasin de jeux vidéo à Rennes… Le truc qui n’a rien à voir (rires) ! C’était drôle parce que de temps en temps il y avait des gens du milieu musical rennais qui venaient au magasin et qui étaient super étonnés de me voir (rires). Quand tu fais ce genre de job, tu n’as pas trop le temps de faire autre chose. Mais j’aimais beaucoup le contact avec les gens, la vente, la gestion. Bon ça c’est assez mal terminé, la boite a été rachetée et je suis un peu rentré en conflit avec les nouveaux boss. Ils voulaient clairement se débarrasser de moi. Comme ils n’avaient en fait, pas grand chose à me reprocher, j’ai réussi à sortir sur un tapis rouge. Je dois dire aussi que j’ai fondé une famille, j’ai eu des enfant et je le dis tranquillement, je n’ai pas touché un instrument pendant plus de dix ans ! Mes basses étaient chez mes parents, dans leur grenier pendant dix ans. C’est ma mère qui un jour a dit à mes enfants que j’avais fait de la musique. Elle leur a montré des photos, des vidéos : ils ne savaient pas ce que j’avais fait avant eux...
Et alors ?
Ils m’ont dit « pourquoi tu ne t’y remets pas ? ». Je me suis dit « pourquoi pas ? ». C’est un truc que tu as dans le sang, dans tes gènes … J’avais du temps devant moi, j’ai repris l’instrument et je me suis plongé dans la technique, l’harmonie. Tout repris à la base. Bref je me suis dit qu’il fallait absolument que je devienne un bassiste plus polyvalent. Que je puisse jouer avec divers artistes dans divers styles… Avec Marc Seberg on savait jouer notre musique mais si on me demandait de jouer du jazz par exemple et bien je n’en étais pas capable !
Tes enfants ont compris l’importance du groupe ?
Pas vraiment, ils ont écouté les disques, vu quelques vidéos mais globalement ça les dépassait un peu… Le truc qui est drôle c’est que quand mes mômes étaient à l’école primaire, il y a des parents d’élèves qui sont un peu plus jeunes que moi qui me disaient « vous êtes le bassiste de Marc Seberg ? » et je pense que les gamins en ont parlé dans la cour d’école. Le genre « mon père m’en a parlé » ou « mes parents aimaient le groupe de ton père ». Ça se limitait à ça ! (Rires)
Mais à la fin de Marc Seberg tu as tenté une carrière de musicien de studio ?
(Rires) A la fin du groupe, j’ai essayé (rires). Bon, j’avais entendu dire que Stéphan Eicher aurait voulu jouer avec moi (?). Quand Noir Désir a perdu son bassiste, j’ai envoyé une lettre pour postuler. Je les avait croisés. J’ai pas été pris (rires). Même une fois postulé pour Vanessa Paradis… Après avoir joué avec Dominic, avec Fred Renaud on a essayé un peu de se placer. On avait appris que Marc Lavoine cherchait des musiciens. On est monté à Paris tous les deux, on a fait l’audition avec un batteur qui a pris le truc à la légère et forcément, on a pas été retenu.
En 2016 tu rentres dans les Nus ?
Après cette étape de réapprentissage de la musique, j’ai fait un groupe avec l’instituteur de mes enfants. Un groupe qui s’appelait Madame Irma. Un truc entre Higelin et Souchon avec de jolis textes, très chansons… J’avais donc remis un peu le pied dans la musique et quand les Nus ont eu l’idée de repartir. leur bassiste, François Conan, ne voulait pas le faire. Comme on était amis avec Les Nus, naturellement ils m’ont demandé. J’étais d’accord bien sûr ! Cela a été l’occasion de retrouver Fred Renaud au cours de deux répétitions incroyables, et puis il y a une pause durant l’été. Un jour, Rémy Hubert le clavier m’a appelé en disant : « Fred est parti ! ” J’ai dit presque en colère « Quoi trois mois avant le concert ? ». Je n’avais pas compris qu’il était décédé dans la nuit. Remy voulait arrêter tout et je lui ai dit alors : « On ne peut pas arrêter, on doit trouver un guitariste pour faire ce concert aux Trans, ne serait-ce que pour rendre hommage à Fred ». Rémy, qui est un battant m’a dit à son tour : « Banco, tu as raison ». On a répété, on a auditionné des guitaristes et puis rapidement Dominic (Sonic Ndlr), qui était un grand fan des Nus, a voulu rendre hommage à Fred. Il a juste demandé à prendre un deuxième guitariste pour ce concert parce qu’il n’avait pas la même manière de jouer que Fred. On a pris le magnifique Chris Georgelin qui nous a beaucoup aidé, et on a fait ce concert.
Un concert qui a changé la carrière du groupe ?
Oui. Etienne (Daho Ndlr) qui était un grand fan des Nus est venu nous voir après dans la loge et nous a proposé de faire un disque. Il voulait vraiment qu’on continue et c’est comme ça que l’affaire est repartie. Depuis on a fait deux albums.
Les Nus sont un des groupes les plus respectés à Rennes ?
Début des années 80, Les Nus était un groupe incroyable. Notamment sur scène. Sur le premier album de la reformation il y avait des redites de l’ancienne époque avec des titres historiques dont « Johnny Colère » et le « Mime Hurlant » qui avaient déjà été enregistrés 25 ans avant. Dans la presse certains ont critiqué ce choix alors que les fans purs et durs du groupe ont adhéré tout de suite. On n’a pas eu autant de temps que ça devant nous pour « mettre en boîte » ce disque. Eric Hortuon, l’ingé son était avec nous. Il a été top ! Etienne est venu réaliser un titre, et c’est Jean Louis Piérot qui a mixé. Dominic avait quitté le groupe assez vite, il avait fallu trouver un nouveau guitariste. On a eu la chance de trouver le magnifique Goulven Hamel, qui s’est adapté très vite. C’est un bon album qui sonne bien et que j’aime beaucoup. Et je parle même pas du suivant : “Enfer et Paradis”, realisé et mixé par mon talentueux ami Romain Baousson. Romain m’a d’ailleurs fait joué sur l’album du Brestois Sane Sane qui mêle chanson, rap, dub, musique urbaine. Excellent ! J’ai hâte que son disque sorte...
Tu as joué avec les grands noms du rock rennais : Dominic Sonic, Les Nus et Marc Seberg ?
J’ai même joué sur un album de Frank Darcel qui a eu peu d’écho , « Atao ». Mais maintenant nous sommes un peu la vieille garde (rires). Il y a une nouvelle génération qui apparaît et qui est super ! Dans cette jeune génération, il y a Filip Chrétien.
On parle de lui ?
Bien sûr. Je ne le connaissais pas. C’est Olivier Loas, un instrumentiste arrangeur de talent qui réalise ses disques, qui me l’a présenté. Filip un jour a voulu prendre des musiciens pour son nouveau disque et Olivier a suggéré mon nom. Filip était un grand fan de Marc Seberg. Il est venu me voir pour me proposer d’enregistrer et de jouer avec lui. J’ai dit oui tout de suite parce que j’ai adoré son univers, et que mon but était justement de jouer avec pleins de gens dans divers styles. J’écoute pas que de la new wave, j’écoute pleins de choses notamment en chanson Française. Je suis absolument ravi de jouer avec lui, c’est une collaboration qui se passe vraiment hyper bien.
Filip Chretien a, peut-être, le meilleur groupe de Rennes avec lui sur scène avec toi, Niko Boyer et Gilles Morillon.
Attention, c’est un chanteur solo et nous on l’accompagne ! Ce n’est pas la même démarche qu’un groupe de rock. Tant mieux si les gens pensent comme ça. Moi ça me fait aller vers d’autres horizons et j’adore jouer avec lui. Ce n’est pas à moi de dire si on est la crème des musiciens rennais mais aujourd’hui il y a en tout cas une nouvelle génération de musiciens qui arrivent et qui sont vraiment très forts techniquement. Le niveau des musiciens a énormément progressé.
Tu as changé ta basse : tu joues de la basse cinq cordes.
(Rires) Oui, quand j’ai repris la basse, j’ai commencé à lire des magazines sur la basse comme « Bass player US ». Comme ça j’ai découvert qu’il y avait de très grands bassistes de jazz par exemple, des gens avec un niveau technique incroyable. J’ai découvert cette partie de l’instrument avec un grand bonheur. J’ai commencé à aimer des mecs comme Pastorius que je rejetais complétement à l’époque du groupe. Ou John Patitucci, Anthony Jackson qui eux jouaient carrément sur 6 cordes. Peu à peu l’idée d’une cinquième corde plus grave a fait son chemin. On en voyait beaucoup dans les années 90 et le son est super. Je l’utilise beaucoup dans les Nus, cela permet de faire des effets incroyables. Cela étend le champ de l’instrument et la texture. Je me suis aperçu que le public rock acceptait assez peu cet instrument. J’étais un des seuls à oser avoir une basse cinq cordes. (Rires)
Autre personnage important pour toi : Pascal Obispo.
Je l’ai rencontré quand il était le guitariste de son premier groupe : « Words of Goethe ». Il m’avait accosté dans la rue en me disant : « vous êtes le bassiste de Philippe Pascal, j’adore ce que vous faites. Vous voulez bien venir écouter une répétition de mon groupe ? ». J’étais donc allé les voir répéter. J’avais sympathisé avec lui et j’avais découvert qu’il était un grand fan de Marc Seberg, de Marquis de Sade et de toute cette époque. On s’est trouvé pleins de points communs, on se voyait souvent et puis il est parti à Paris pour la promo de « Plus que tout au monde ». A l’époque j’étais vraiment dans la panade : je n’avais plus de projet et je n’étais pas encore commerçant. Je l ’ai appelé pour lui demander s’ il n’avait pas besoin de musiciens. Il m’a proposé de faire les Playbacks dans les émissions de télévision avec lui et aussi avec Titus, le batteur de « Words of Goethe ». Il ne m’avait pas oublié et franchement c’était pas mal : j’étais super bien payé pour jouer en playback ! Bref j’ai gardé des liens avec lui. On s’est un peu perdu de vue jusqu’au jour où il m’a contacté pour faire le fameux disque pour Philippe.
Et ensuite ?
Quand Philippe nous a dit qu’ il ne ferait pas ce disque, c’était un peu chiant parce que je comptais sur ce projet qui me tenait à cœur. Et bien, avec sa grande honnêteté et sa gentillesse, Obispo a déposé tous les morceaux qu’on a fait pour Philippe à mon nom en tant que co-compositeur. Au cas où ces titres soient exploités un jour. En plus, quand il a commencé à bosser sur son dernier disque, il a décidé de travailler avec des gens qui l’avaient inspiré. Tu as Biolay ou Edith Fambuena entre autres. Moi, il m’a proposé de co-composer la musique d’un titre. « je rentre » avec un texte écrit par ses soins sur sa jeunesse à Rennes. Il a invité Philippe Pascal a parler à la fin du morceau.
Vous avez joué à l’Olympia ensemble ?
Oui, c’était pendant qu’on enregistrait cet album pour Philippe. Pascal a compris que Philippe n’avait peut-être plus trop la foi. C’était costaud : au milieu du concert de Pascal Obispo tu fais monter sur scène Philippe Pascal pour chanter « Silent Word », qui est sur “Rue de Siam ». C’est un titre superbe, mais pas des plus gais. On l’a joué à Rennes au Liberté , Au Zénith de Nantes, et à Paris à l’Olympia. Au milieu du show il présentait Philippe en annonçant que c’était quelqu’un qui avait bercé sa jeunesse et qui l’avait construit. Il y a des vidéos de ça et Philippe était plutôt à l’aise dans cette configuration. C’était un titre qu’il aimait beaucoup et notre version était plutôt bien. Je suis assez fier de ces moments et heureux d’avoir pu partager à nouveau la scène avec Philippe. C’étaient des conditions assez incroyables : plein de public, des lumières, des images de la grande époque derrière nous, de superbes musiciens … C’était vraiment bien.
Et maintenant ?
Comme Obispo le dit lui-même, je fais partie de « la famille ». Il m’avait dit que j’allais jouer sur son disque mais au bout de six mois il m’a dit qu’il allait reprendre la basse et en jouer sur sa tournée … (rires)
Quels sont tes projets ?
Un nouvel album de Filip Chretien qu’on est en train d’élaborer. Il devrait être mixé par Gilles Martin ( Miossec, Tuxedomoon, Sonic). Les Nus sont un peu entre « parenthèse » à cause du confinement : on ne peut donner de concerts pour soutenir le nouvel album. J’ai aussi un projet avec Sergeï, Pascal Karels (Frakture), et Pascal Trogoff. J’ai un autre projet d’album avec Pascale Leberre, un truc assez pop et une collaboration avec l’ami Obispo. Également pour finir, je fais la basse sur un titre du lp de l’ami Philippe Maujard (Ubik)
Et un album solo ?
(Rires) C’est difficile parce que pour faire un album solo il faut plusieurs cordes à son arc et moi je suis bassiste à plein temps. Je me suis vraiment spécialisé sur cet instrument. Je joue un peu de guitare, je sais programmer les boîtes à rythmes mais je me sens plus comme un collaborateur et un musicien. Si je faisais un disque ce serait un album un peu de démos de basse et ça risquerait de n’intéresser que des bassistes. Je ne chante pas en plus…Donc je ne pense pas qu’il y aura un album solo (rires).
Quand tu jettes un regard en arrière, ça t’évoques quoi ?
D’abord un gros trou de 12 ans (rires), mais avec du recul et à mon âge, je suis plutôt fier. Pendant longtemps quand j’écoutais mes disques j’étais mal à l’aise. Je voulais toujours avancer, aller de l’avant … Depuis qu’ ils ont remasterisé les quatre disques de Marc Seberg à l’initiative de Pascale Leberre, je redécouvre les morceaux et franchement c’était vraiment très bien. Je n’ai plus cette gêne un peu débile. Avec la maturité je suis plus sage. Je rencontre aussi des gens qui me disent à quel point le groupe a été important dans leurs vies et c’est un paramètre qu’on avait pas du tout à l’époque : il n’y avait pas de réseaux sociaux … Quand je vois le retour des gens sur ce que j’ai fait il y a trente ans, je suis très fier et touché, même si on a traversé des zones de turbulences et des crises.
Un grand merci au public et aux fans qui nous ont suivi dans ces différents projets…
Je profite aussi de cette tribune pour dire que je suis ouvert à toute proposition sérieuse pour qui chercherait un bassiste. Studio ou scène…
Merci d’avoir lu, et merci à Franco de "Buzzonweb" de m’avoir proposé cette interview.