Les Fils de Joie : une histoire du rock Français racontée par Olivier de Joie

mardi 29 septembre 2020, par Franco Onweb

C’était le début des années 80 ! Les radios libres explosaient un peu partout en France, amenant de nouvelles musiques au public. « Adieu Paris » des Fils de Joie passait en boucle sur ces radios et devint rapidement presque un hymne de ces nouvelles stations. Les Fils de Joie venaient de Toulouse, ces ex punks avaient tout pour eux : le talent et des concerts incroyables !

Rapidement le business repéra le groupe et leur offrit un contrat mais malheureusement ils firent partie de cette longue cohorte de groupes qui, attiré par le succès, moururent les armes à la main victime de cette industrie. Mais il reste cette chanson, et bien d’autres titres, pour se rappeler de ces jeunes Toulousains. 

L’été dernier Olivier Hebert alias Olivier de Joie, a eu l’excellente idée de faire paraitre une compilation du groupe. J’ai donc pris contact avec l’ancien chanteur des Fils de Joie pour me raconter l’incroyable et très étrange carrière du groupe.

 

J’ai eu une jeunesse un peu mouvementée. J’ai perdu ma mère très jeune et mon père était un « fonctionnaire aventurier ». Il était magistrat mais surtout il aimait les voyages et fuyait le vieux continent à la moindre occasion. Il a passé sa vie entre l’Inde, l’Afrique et le Pacifique avec quelques incursions en France. Je suis né dans l’hémisphère sud, à Madagascar et j’ai passé une grande partie de mon adolescence en Nouvelle-Calédonie. Entre les deux, mon père avait été nommé à Toulouse où j’ai fait mon école primaire. J’y suis retourné après la Nouvelle-Calédonie pour passer mon bac en 1978. C’était la pleine explosion Punk. Avant, j’écoutais surtout les Rolling Stones , Bowie et les Stooges. Quand j’étais dans l’hémisphère sud, mon père m’envoyait tous les étés soit en Australie, soit en Nouvelle-Zélande. A l’été 75, à Sydney, je passais tous les jours devant un magasin de musique. J’adorais Keith Richard, je rêvais de devenir guitariste et je suis passé à l’acte. Avec l’argent de poche qui me restait, je me suis offert une Fender acoustique ¾, fabriquée au Japon, pour 80 dollars australiens, que j’ai toujours. Je me suis mis à jouer tous les jours et quand je suis rentré en Calédonie, mon père a fait une drôle de tête (rires). Au début, j’ai commencé par jouer des standards comme « No Fun » ou « Honky Tonk Women ». A mon retour à Toulouse, les premiers groupes punks avaient changé la donne. On voyait tous ces groupes anglais, qui ne jouaient pas hyper bien mais avaient une créativité fantastique et redonnaient au rock son urgence, sa simplicité et son énergie. C’était devenu accessible à mes yeux et comme quelques jeunes à l’époque, j’ai pu commencer à rêver vraiment de faire du rock.

Olivier de Joie
Crédit : Nicole Pradel

C’est là que se forme le groupe ?

J’étais en terminale au lycée Saint-Sernin de Toulouse et un jour je suis allé au concert d’Iggy Pop, à « la Halle aux Grains ». J’étais au premier rang. Avant le concert, il y a deux mecs, les cheveux en pétard, qui sont passés à côté en demandant s’il y avait un guitariste pour jouer avec eux à la MJC d’Empalot le samedi suivant. J’étais avec mon pote Daniel, le futur bassiste des Fils de Joie, qui m’a poussé à lever la main. J’avais encore les cheveux longs à l’époque. Ils m’ont dit que j’étais embauché dans le groupe si je me coupais les cheveux (rires). J’ai dit ok et j’ai demandé si on répétait. On a répété une heure et on a joué des reprises des Sex Pistols et des Damned, comme ça à l’arrache … On s’appelait les Fly Killers . Dans le groupe, il y avait Alain Gérard à la batterie qui sera le batteur des Fils de Joie  ! Un super batteur, de loin le meilleur à Toulouse. Il avait à peine 15 ans à l’époque et cognait comme un malade (rires).

Et ensuite ?

On a fait un deuxième concert à la fête de fin d’année du Lycée Bellevue avec ce groupe : des reprises mal jouées mais pleines d’énergie. J’ai proposé à Alain de faire un groupe un peu plus sérieux, il était ok et les autres non. On les a quittés. Il nous fallait un bassiste. A l’époque, tu ne choisissais pas un musicien mais plutôt un copain. J’avais mon vieux pote Christophe « Chris » Bonnebouche, à qui on a proposé d’aller s’acheter une basse. Il en rêvait et donc on a commencé comme ça fin 78 (rires). Il faut dire qu’Alain était vraiment un super batteur. Dans un groupe de rock, il faut toujours un bon chanteur et un super batteur. Si tu n’as pas ça, ton groupe n’ira jamais loin ! On a commencé par un concert à l’université Paul Sabatier, une sorte de festival. On était programmés au début, en plein milieu de l’après-midi, devant quelques copains et une poignée de gens étonnés ou indifférents. On jouait principalement des reprises des Ramones, une ou deux d’Eddie Cochran, des trucs second degré comme « Good to be back » (de Gary Glitter) ou « Belle belle belle » (de Claude Francois), le tout en version bien punk, et puis deux ou trois titres que j’avais bricolés, genre « Retourne à l’école ».

Les Fils de Joie en répétition en 1979
Crédit : Gil Dougherty

Un bon souvenir ?

Assez oui ! pour l’anecdote, ce jour-là, un étudiant organisateur n’arrêtait pas de dire : « Même les petites filles me jettent des pierres  » et ça nous a donné un titre 

Mais il y avait une scène punk à Toulouse ?

Il y avait surtout du Blues-Rock, du Hard-Rock et du Jazz-Rock ! A l’époque quand tu avais les cheveux courts, tu avais de gros problèmes, on devait courir parfois dans la rue (rire)… On était quelques rares punks à Toulouse, on se croisait.

Tu deviens quand le chanteur ?

Je jouais de la guitare, je bricolais des trucs dans mon coin mais on cherchait vraiment un chanteur. Notre modèle c’était les Ramones . Je jouais de la guitare et cela m’allait. Il nous fallait donc un chanteur. On a fait un concert à « Sup Aéro » parce qu’on jouait beaucoup dans les facs et là, un étudiant arrive habillé tout en rouge avec un yaourt à la main. Il nous a écouté avec attention et je suis allé lui parler à la fin du concert : c’était Pascal Jouxtel. On lui a proposé de nous rejoindre comme chanteur … On a juste fait un concert ensemble et ça ne l’a pas fait. Il n’aimait pas la scène et il voulait finir ses études (rires). Mais avec lui, on a co-écrit beaucoup de textes, des titres comme « Adieu Paris » ou « Le Requin vert ». Suite à ça, on fait plein d’auditions mais on ne trouvait personne qui nous correspondait et donc je suis devenu chanteur par défaut. J’ai écrit un morceau qui retrace cette époque : « Ultime pogo  ». 

Vous êtes aussi un groupe qui a beaucoup évolué musicalement et même vous vous revendiquiez d’écouter de la « Soul Music  »  ?

Bien sûr et c’est tant mieux. On a commencé punks et l’influence des Ramones a fait que j’ai appris à écrire des morceaux simples mais mélodiques : avec une bonne intro, un refrain qui sonne, 2 ou 3 couplets et un pont, le tout en trois minutes max. Après on a évolué avec la « Black music », un peu comme les Clash. J’ai grandi en Nouvelle-Calédonie et là-bas Bob Marley et le reggae étaient déjà très connus, donc pour moi c’était naturel. Avec Les Fils de Joie, on est passé à quatre en rajoutant un bassiste à la place de Chris, qui a pris la guitare puis le synthé. Notre bassiste, Daniel Costa, écoutait beaucoup de « Soul Music » de Philadelphie ou Motown. Tout ça a influencé notre style. Le rythme de « J’appelle par-delà les mers » est inspiré de celui de « Let’s get it on » de Marvin Gaye.

Mais c’est un parcours assez classique pour des gens de l’époque ?

Oui probablement. Le punk, c’est l’étincelle qui nous a permis de nous exprimer, de commencer à écrire des chansons dans une époque très particulière et bouillonnante. Plus tu apprenais à jouer, plus tu t’ouvrais musicalement. C’était la renaissance du rock. Tout évoluait très vite et tout se mélangeait. J’ajoute que nous chantions en français dès le début, ce qui était assez original pour l’époque en France. Le rock avait toujours été en anglais, à part le rock variété genre Johnny ou Téléphone.

Premier concert des Fils de Joie à l’université Paul Sabatier en 1979
Droits réservés

Mais vous deviez être fans de David Bowie ?

Influence énorme pour moi ! Le premier 45 t que j’ai acheté c’était « The man who sold the world ». J’avais 13 ans. C’est un des rares avec Iggy Pop, Lou Reed ou les Who, qui a été respecté par les Punks et la new wave. Il ne faut pas oublier que l’un des comportements au moment de l’explosion punk était de rejeter tout ce qui avait été fait avant. Après, ça s’est arrangé (rires).

Pourquoi ce nom les Fils de Joie ?

On cherchait un nom de frères comme les Ramones. Un jour j’avais demandé à mon père comment on appelait le pendant masculin des filles de Joie. Ne me demande pas pourquoi (rire). Mon père avait rigolé et répondu « Les Fils de Joie ». J’avais raconté ça aux autres qui avaient trouvé ça super. Il y avait ce qu’il fallait de provocant pour un groupe punk de 78 et un nom de famille rigolo. Voilà comment on est devenu Olivier de Joie, Alain de Joie et Christophe de Joie. Comme on m’a souvent posé la question, je précise que, à l’époque, on ne connaissait pas Joy Division mais bien sûr on a beaucoup aimé ensuite. On a même écrit un titre en hommage à Ian Curtis, « Nous ne dansons plus la nuit  » .

Et quand est-ce que vous avez commencé à jouer partout en France ?

A l’époque, quand tu es en province, ton truc c’est vraiment de jouer à Paris pour accrocher les medias mais ça prend du temps pour y arriver. En 1981, il y a eu l’explosion des radios libres, ce qui nous a permis d’avoir des premiers passages radios et d’exister. On avait fait une première maquette, où il y avait « Harry  » ), « Tonton Macoute  » et notre reprise de « Havana Affair  » en version ska … Toutes les maisons de disques nous ont jetés. C’était en 1979, donc on est resté surtout jouer à Toulouse et dans le sud.

Vous avez joué avec qui ?

Au début, personne de connu, sauf une fois avec Nino Ferrer. C’était pour se faire connaître lors d’une sorte de tremplin. On était connu dans le milieu étudiant toulousain et dans le circuit Punk New-Wave Alternatif ou disons, « Post-punk » pour utiliser un terme récent. On a mis un temps fou à sortir de notre réseau. Dans d’autres villes comme Rouen et Rennes, il y avait des organisateurs mais chez nous : presque rien ! Au début, il y avait juste « Le Pied » un lieu rock à 30km de Toulouse dans le Gers. Bordeaux, par exemple se débrouillait beaucoup mieux que nous : les Ramones ont joué là-bas en 1981, pas chez nous mais quand les radios libres sont arrivées, en 1981, elles ont mis tout le monde d’accord. Elles passaient nos cassettes. Un peu plus tard, Radio FMR, une radio toulousaine, a même sorti une compilation vinyle où il y avait 3 de nos titres (« Le Requin vert  », « Les plaisirs chers  », une reprise live de « Green onions  »). Grâce aux radios libres, on a pu aller en studio pour enregistrer notre premier 45 t avec « Adieu Paris  ».

On va s’arrêter un peu sur ce titre. C’est ce que l’on pourrait appeler « un titre culte ». Ca n’a jamais été un tube grand-public mais il est présent sur des compilations et il est trè s repr ésentatif de cette époque.

Oui, il faut aussi se replacer dans l’époque : on est à la fin de la guerre froide. A la fin des 70s, début des 80s, l’idéal communiste ne fait plus rêver, les hippies ont perdu la foi, les soixante-huitards sont rentrés dans le rang, le capitalisme triomphe partout dans le monde sous l’influence de Reagan et de Thatcher, il y a le SIDA, des guerres au Liban ou Irak-Iran, Pinochet est au pouvoir avec l’aide de la CIA, la musique est devenue hyper commerciale ou prétentieuse, super technique et chiante avec le jazz-Rock. Forcément, les Pistols chantent « No future » et les Ramones « I don’t care » et ça, enfin ça nous parle ! Pour compléter le tableau de cette révolution musicale et existentielle, il faut retenir la démocratisation du synthé et l’influence de la musique des îles avec, notamment le Reggae et le ska. Adieu Paris reflète un peu tout ça, le manque de repère et l’envie d’en finir. A la base c’est une chanson underground et je suis content d’avoir écrit une chanson comme ça qui est toujours présente. Tant mieux si, comme tu le dis, c’est devenu une chanson culte, le genre de titres qui peut créer des vocations et que les connaisseurs apprécient. En tout cas, je revendique complètement le côté « underground » du groupe. On a juste eu un an où on été un peu dans le « métier », on a fait des télés, ce genre de choses mais ce n’était pas vraiment nous …

Il y a plusieurs versions du titre : la vôtre auto-produite, sortie en 1982 et celle enregistrée ensuite produite par Frank Darcel (guitariste de Marquis de Sade, à l’époque et producteur des débuts d’Etienne Daho Ndlr) sortie en 1985 chez Phonogram ?

Sur la plupart des compilations d’aujourd’hui, comme « Les jeunes gens m ö dernes , vol.1 » il y a la nôtre de 1982 . Il y a aussi une version par le groupe Diabologum qui en a fait une reprise que j’aime beaucoup. Moi-même, j’en ai aussi enregistré une en solo, unplugged avec juste une guitare et l’accordéon d’Isabelle Janvier (sortie sous le nom de groupe « La Collective » . Y a-t-il une version parfaite du titre ? Non, du moins pas comme je voudrais l’entendre aujourd’hui. En fait, la première version du titre, on l’a enregistrée ensemble de la première à la dernière note de guitare-basse-batterie. C’était presque du live en studio et chacun avait trouvé sa partie. Alain te dirait que la rythmique était en 6/8 (rires) … J’ai chanté ensuite, Chris a posé les claviers et Christophe Jouxtel, Le frère de Pascal, a joué le solo de Sax. Pour moi, c’est la version la plus proche de ce qu’on voulait faire. Par exemple, il y a l’orgue à contretemps de Chris sur le refrain, comme clin d’œil rythmique au « Harder they come » de Jimmy Cliff. On venait du punk, on avait des influences cold et reggae-ska. Toutes ces influences sont dans le titre. Un style « post punk ».

On parle de tes textes : ç a ne respirait pas la joie de vivre …

Pas vraiment (rires). Il y a des morts et des suicides partout et la nature humaine en prend pour son grade. Pour « Adieu Paris », j’avais écrit un premier texte : « Paris, Paris » … J’ai croisé mon copain Pascal (Jouxtel Ndlr) qui ne faisait plus partie du groupe et je lui ai demandé de m’aider pour le texte. Ensemble on s’est assis et on a trouvé le texte. J’ai proposé « Adieu Paris » et on est parti là-dessus. Ma première version démarrait par « la Tour Eiffel, la tour Montparnasse… ». Pascal a tout de suite trouvé « La corde ou le gaz » … on y était ! Toutes nos chansons racontaient des histoires, parfois au second degré mais qui reflétaient la société et notre époque qui n’était pas terrible, comme je disais : plutôt déprimante, sans repère et sans idéal.

Et là vous signez sur une Major : Phonogram !

Le premier « Adieu Paris » auto-produit avait vraiment très bien marché grâce aux radios libres. Ironiquement, c’était la première chanson New Wave avec le mot Paris dedans mais il y en a eu d’autres. En fait, la chanson ne ressemblait à rien d’autre à l’époque en France. Elle passait plusieurs fois par jour sur les grosses radios libres, y compris à Paris. Alain Maneval nous a écoutés et il nous a invité sur Europe 1 pour une interview. Grâce à lui on a rencontré des gens, on a eu des propositions et on a signé chez Philips Phonogram.

Les Fils de Joie dans les loges du Gibus en 1983 avec Alain Maneval
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Le groupe avait évolué ?

Beaucoup : à la base, on était un trio puis Daniel nous a rejoint à la basse au bout d’un an ou deux. Chris a pris la guitare puis les claviers. On était quatre, on a beaucoup tourné comme ça. A la fin d’un concert au Grand Parc à Bordeaux en 82, Alain (le batteur Ndlr) nous a quitté brutalement : Ce n’était pas la vie qu’il voulait. Il est devenu pilote de ligne. On a cherché un batteur et on a passé une annonce. Suite à ça, deux mecs ont débarqué de Charente-Maritime : c’était Dorian Chaillou et Jean Marc Besson. Dorian était batteur, c’était le mec new wave et franchement on s’est très bien entendu. On l’a engagé. C’est un bon batteur, qui a son style. Il est très différent d’Alain, moins technique et moins cogneur mais avec une bonne présence scénique aussi. On en a profité pour prendre Jean-Marc comme manager. Il nous a monté des tournées. Pendant une tournée en Bretagne, on est rentré dans une salle pendant la balance du groupe qui jouait avec nous. J’étais avec Dorian et là, on a entendu le mec qui jouait du sax avec eux. On s’est regardé et on s’est dit : « ce mec va jouer avec nous ». C’était Marc Gourmelen. On l’a branché direct parce que sur certains de nos titres, il y avait du sax. A la fin du concert il a dit à ses potes : « je m’en vais avec les Fils de Joie , salut ». Juste après, on a joué à Rennes avec Marquis de Sade et il était là (rires).

Les Fils de Joie en 1983
Crédit : Corinne Entringer

C’est cette formation qui a enregistré le maxi 4 titres produit par Jello (guitariste de Starshooter Ndlr)chez Phonogram ?

Exactement, Jello rentrait juste d’Afrique et il était à fond dedans. C’est pour ça que sur le maxi il y a une ambiance black : c’était sa vision du groupe !

Mais vous aviez votre mot à dire ?

Quand tu rentres en studio avec un producteur : c’est lui qui a le dernier mot !

Sur ce maxi il y a « Tonton Macoute  » un titre qui va marquer avec un texte … assez violent ! Il fallait oser chanter « avec mon couteau de commando, je torture » !

(Silence) Avec du recul, je me demande comment j’ai pu chanter ce texte et pourquoi je ne l’ai pas travaillé plus finement comme certains autres textes. C’est du second degré à la Fils de Joie . Si tu prends « le Requin vert », c’est un texte sur la guerre du Liban, toujours au second degré mais plus poétique … On était comme ça à 20 ans. On dépeignait un monde dur et violent sans toujours prendre de gant …

On pourrait penser que c’était votre côté punk provocateur ?

Exact. C’est une chanson de 1979 au départ, donc oui d’esprit punk. En fait, la première version de « Tonton Macoute » c’était un twist-ska parodique qui a évolué musicalement mais on a gardé le texte d’origine. Il ne faut pas oublier que la vraie devise des tontons macoutes était : « Couper les têtes et brûler les maisons ». Jello ne nous a pas fait changer le texte. C’était engagé et au moins les gens l’ont retenu (rires). Bon ça n’a pas servi à grand-chose. Quand le dictateur Duvalier s’est fait débarquer, il a été accueilli en France …

Pochette du maxi 45 t «  Tonton Macoute  »
Droits réservés

Il a bien marché le maxi ?

Il a bien marché dans le milieu underground et on avait un noyau dur de fans dans toute la France. Tonton Macoute faisait même danser dans certaines boites. Les concerts des Fils de Joie marchaient super bien. Les gens chantaient avec nous et ne nous laissaient pas quitter la scène … mais la réalité c’est que rien n’a vraiment marché selon les critères grand-public de la maison de disque.

Mais vous étiez bien dans votre époque ?

Oui pour les thèmes et le style de nos chansons. Disons que nous étions rebelles à un système qui essayait de nous ramener à lui. Certains voulaient que nous soyons un autre Indochine . En faisant « Tonton Macoute », on leur a tiré une balle dans le pied de ce point de vue (rires). J’avoue que j’aurais un peu de mal à chanter ce titre aujourd’hui. Haiti a d’autres problèmes et il me semble que le politiquement correct est devenu la règle à présent … En fait, j’ai écrit un nouveau texte plus subtil et en référence au premier : « Tonton Macoute repenti  ». Ça sonne super, je pense que je vais l’enregistrer (rires).

Oui mais plein de gens aiment « Tonton Macoute » ?

Je sais … c’est encore un des titres cultes des Fils de Joie …

Une partie de la musique du groupe vient de ton enfance dans l’hémisphère sud : ça sent les rythmes plus chauds, ce qui est totalement en contradiction avec l’époque ?

Oui j’ai cette influence et j’ai toujours aimé le rythme et la danse. J’ai même écrit un titre en hommage à mes parents assez chaloupé au ukulélé (« Né dans une île  ». Néanmoins, on peut considérer que les rythmes exotiques étaient déjà présents dans la new wave avec les groupes anglais de ska ou The Clash quand ils chantaient « Rock the Casbah  » ou « Guns of Brixton ». Avec la soul ou la musique africaine, tout se mélangeait à la fin … Je pense qu’on était quand même un groupe à part en France, par nos textes surtout et peut être par nos influences.

Vous n’en avez jamais vécu ?

« Adieu Paris » nous a rapporté pas mal de droits d’auteurs même si on avait signé avec un éditeur, suivant les conseils de Phonogram. Je ne sais toujours pas à quoi cela sert mais on devait filer 50% des droits à cet éditeur qui ne faisait rien pour nous. On s’était aussi fait tondre par la maison de disque, qui nous laissait 7% sur les ventes de disque. Comment veux-tu faire vivre cinq mecs de 23, 24 ans avec ça ? On devait tourner pour gagner nos vies. J’imagine que c’est un peu pareil pour les groupes aujourd’hui … Il y a quelques années, j’ai voulu racheter les 50% droits pour « Adieu Paris » et « J’appelle par-delà les mers ». Le patron de la boite qui avait racheté le catalogue de notre éditeur nous les a rendus gratuitement ! Car c’est un éditeur de cinéma. Respect ! Par contre je n’ai pas cherché à racheter les droits de «  Tonton Macoute  » parce que je me dis à chaque fois : « comment as-tu pu trouver un éditeur pour ce titre ? » (rires). Figure-toi que nous avons accepté de reformer les Fils de Joie pour un concert de charité le 29 janvier 2021 à Royan et je suis sûr que’on va nous demander de chanter « Tonton Macoute » (rire)… Enfin, si COVID le permet.

Les Fils de Joie en 1985
Crédit : Antoine Giacomoni

En 1985, est sortie la nouvelle version de « Adieu Paris » avec cette pochette où vous changez complètement de « look », le genre minet new wave », le tout produit par Frank Darcel dans une version beaucoup plus … grand public que l’original : qu’est-ce qui s’est passé ?

Arrête ! (rires) C’est une très bonne question. Il faut remettre les choses au point et dire que c’était vraiment le commencement de la fin. Quand on a signé chez Phonogram, c’était pour faire un album. Et on pensait le faire à notre manière. La maison de disque nous a aussitôt fait faire une maquette dans un de leurs studios avec sept ou huit titres. Le mec qui nous reçoit dans le studio, c’est le mec qui avait enregistré Brassens et le contact est super bien passé avec lui. Pourtant on était des New Waveux de base. On a super bien bossé parce que ce gars connaissait son job, il avait de l’expérience et il nous a respectés : ça l’a fait ! La maison de disque a écouté et il nous ont payé un gros studio avec Jello pour enregistrer « Tonton Macoute », « Havana Affair » et « Voici le jour ». On sort de l’enregistrement au bout de quinze jours, on s’est dit : « c’est pas totalement nous mais ça va le faire ! ». Bref, on était quand même restés nous-mêmes. On était un groupe de rock. Il suffisait de nous voir sur scène ! Pour le deuxième disque, ils nous ont dit « Adieu Paris, c’est votre titre : on va le refaire en mieux ! avec J’appelle par-delà les mers , ce sont deux tubes … ». C’était l’époque de Duran Duran en Angleterre et de ce genre de trucs. Ils ont appelé Frank Darcel qui sortait de « La notte, la notte  » avec Etienne Daho et qui faisait un carton. Avec tout ça quand j’ai écouté le résultat, j’ai juste dit : « c’est pas nous ». On a enregistré des guitares sur « J’appelle par-delà les mers » qui ne sont même pas sur le mixage final. Ils ont pris un requin de studio pour jouer les basses et à la place de la batterie de Dorian, c’est une boite à rythmes …

C’est vrai quand on voyait cette pochette et qu’on écoutait le titre on était loin de « Tonton Macoute ».

Notre manager avait pris le plis du show biz, il y est toujours d’ailleurs. Comme lui, on était jeunes et immatures. On ne vivait pas vraiment de la musique. On voulait s’en sortir et on a accepté ce genre de compromis sans réfléchir assez à ce qu’on était vraiment. C’est ce qui nous a amené à nous séparer très vite ensuite : ça n’allait plus entre nous et ce dernier enregistrement a précipité la fin du groupe !

Mais votre histoire est arrivée à plein de groupes : les maisons de disques cherchaient un format très précis.

C’est vrais qu’on a pas été les seuls à vivre ça et que les maisons de disques voulaient un format précis type Indochine ou Etienne Daho, d’où la présence de Frank … Sincèrement, il y a des trucs vraiment bien chez Daho ou Indochine, ce n’est pas le sujet. Les maisons de disques étaient incapables de comprendre les spécificités de chacun. On s’est séparés avant même d’enregistrer l’album qu’on devait faire avec Phonogram. On leur a laissé 5 titres et des maquettes. Heureusement, il y avait beaucoup d’autres enregistrements de nos titres produits par nous. Avec le recul, je me dis que c’est une chance. Le son de certaines bandes est correct et ça nous ressemble. Nous venons de sortir une compilation des Fils de Joie en 2 volumes : « Anthologie des idées noires  » (13 titres, 1982-1985 https://imusiciandigital.lnk.to/o2ccS6dhEM) « Arr ête- ç a c’est trop bon  » (10 titres, 1979-1982 https://imusiciandigital.lnk.to/swwQ9wiR)

On peut espérer cette compilation en physique ?

C’est mon souhait mais dans notre époque COVID c’est compliqué je crois. Je vais attendre un peu avant de relancer les labels. En 2018, j’ai édité un single CD avec « Allong é sur la dune  », un des tous deniers titres des Fils de Joie. Mon vieux copain Francis « Sit » en avait gardé un enregistrement et ma compagne, Nicole, aimait vraiment beaucoup le morceau. C’est à l’occasion de notre mariage que j’ai édité ce CD. Il existe aussi un Album Live pirate de 6 titres « Live in Tours, 1985  ». C’est un des tous derniers concerts des Fils de Joie et même si le son n’est pas terrible, c’est un super témoignage. Tout est accessible sur les plateformes de streaming … Quoi qu’il en soit, j’étais dégoûté après la séparation des Fils et j’ai mis ma guitare au placard pendant quelques années.

C’est vraiment ça qui vous a séparé ? Certains dans le groupe étaient d’accord pour cette démarche plus commerciale ?

Personne n’a jamais été vraiment d’accord à 100% pour cette démarche. On avait écrit plein de morceaux mais il y avait des dissensions entre nous au sujet de notre orientation … On aurait pu évoluer avec une option où chacun amenait ses titres. Dorian et Jean-Marc sont restés dans le milieu. Chris est devenu un pionnier des raves avec « Les Boucles étranges » (LBE), un gros son techno. Marco et moi on a essayé de relancer un truc et puis on a vite arrêté : j’ai pris un job et Marc est devenu styliste et photographe de mode. Il est reconnu et vit entre l’Italie et la Californie.

Mais tu as fait des disques après, sous ton nom ?

Oui. Quelques-uns. A la base, je suis quelqu’un qui aime écrire des chansons. C’est une passion. Je signe soit Olivier de Joie, soit Olivier Hébert. Après la fin du groupe, j’ai bossé et fondé une famille. J’ai eu trois garçons et puis, bien sûr, l’envie d’écrire et de jouer est revenue. En 2005-2006, j’avais vraiment plein de titres et je voulais les enregistrer. J’ai créé un groupe  : la Collective pour enregistrer un album de 13 titres (« Banquier ou bandit ») avec quelques copains (Le Szgab, un ancien de la New Wave toulousaine lui aussi, chante sur deux titres avec moi), mes enfants et de jeunes musiciens que je croisais ici et là … Il y a quelques morceaux marquants sur cet album comme « L’instant dominant », une chanson sur mon père (avec l’accordéon génial de Maxime Perrin ou « Le chant des supporters » , un rap qu’on avait bricolé en studio et qui parle d’un match mythique PSG-Real de 1993. Les fans du PSG adorent (rires). J’avais même fait presser des CDs de cet album de la Collective, que je donne : je ne les vends pas (rires). J’ai fait d’autres projets. Un été, je suis allé voir mon ami Francis « Sit » au « Camp d’Accueil des Français d’Indochine » (Le CAFI) à Sainte-Livrade-sur-Lot. Il y est né. Il avait gardé plein d’enregistrements d’origine des Fils de Joie . En rentrant à Paris, j’ai composé un titre sur lui et sur le camp : « Indochine souviens toi  ». C’est un hommage à un ami mais je pense que ce titre peut avoir du sens pour plein de gens déracinés comme lui et moi. Avec Sit et un pote à lui guitariste, Mathieu, on a enregistré « Indochine souviens-toi » et une reprise de « Opium » qui leur tenait à cœur. On a invité, François, un batteur, un copain de sit, deux copines toulousaines, Pascale et Nicole et aussi Kieu (la fille de Tai Luc) pour les cœurs et les sifflets. C’est un morceau qui marche super bien. Depuis, j’ai sorti un autre album qui s’appelle simplement « Olivier Hébert  » (10 titres). Je me suis fait un petit studio chez moi. A présent, je continue. Je joue et j’enregistre sous le nom d’Olivier de Joie, comme au début.

On peut espérer voir les Fils de Joie ailleurs qu’à Royan le 29 janvier ?

Oui peut-être. En tout cas, moi j’adore la scène. A Royan, il y aura Alain le premier batteur qui est toujours le cogneur qu’il était à 15 ans. Pour les autres c’est plus compliqué : Marco est aux USA et ne joue plus de sax et Daniel ne peut pas… Il y aura peut-être Chris et il y aura sûrement des invités … Je vais me réinstaller à Toulouse l’année prochaine et donc je pense que je vais rejouer là-bas aussi. J’ai été pas mal contacté depuis la sortie de la compilation des Fils.

Qu’est ce que tu retiens des Fils de Joie ?

Du plaisir de jouer, d’écrire des chansons, d’avoir été acteur d’une époque charnière pour la culture, d’avoir croisé des gens incroyables … Grâce à ça, je suis devenu un « songwriter », un auteur. Même si j’ai parfois la frustration de ne pas avoir fait les choses plus à fond, plus professionnellement mais on était du sud et donc un peu branleurs, pas vraiment des pros (rires) ! On sortait du lycée et on se faisait plaisir. Je ne regrette rien. Je reçois des messages de remerciement pour mes chansons via les réseaux sociaux : elles ont marqué des gens. Que veux-tu demander de plus ? On a eu la chance de laisser une trace avec les Fils de Joie  et ça me rend heureux !

Albums des Fils de Joie (liens multimedia

« Anthologie des idées noires » (13 titres, 1982-1985) https://imusiciandigital.lnk.to/o2ccS6dhEM

« Arrête-ça c’est trop bon » (10 titres, 1979-1982) https://imusiciandigital.lnk.to/swwQ9wiR

« Live in Tours 1985 » (6 titres) https://www.youtube.com/playlist?list=OLAK5uy_ldZxVNCZ7UH41M-P7LgIpe8aUt8z6zEn0

Liens pour Olivier Hébert et La Collective

Album « Banquier ou bandit » https://www.youtube.com/playlist?list=OLAK5uy_kEGz9nUtoM3eYwzZG9c9lO-DaYT5EcQm4

Site des Fils de Joie

http://filsdejoie.e-monsite.com/

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Free Downloads : Olivier de Joie / Olivier Hébert / Les Fils de Joie …

Soundcloud : https://soundcloud.com/olivier-hebert