Les Nus : Rencontre pour Enfer et Paradis

samedi 16 novembre 2019, par Franco Onweb

Nouvel épisode dans la longue et incroyable saga des Nus : un nouvel album « Enfer et paradis ». Un troisième album pour un groupe unique en son genre.

Les Nus, c’est l’histoire d’un groupe qui a tout traversé, le pire et le meilleur, avec une élégance et une énergie hors du commun. Depuis sa reformation, en 2013, le groupe a su se remettre en question pour composer un nouvel album aussi somptueux que intelligent.

Un tel disque ne pouvait que m’intéresser, j’ai consacré plusieurs articles aux Nus, notamment à leur incroyable chanteur, Christian Dargelos. Je suis fan du groupe. Alors quand j’ai su que le nouveau disque sortait, j’ai pris mon téléphone pour établir un bilan de la reformation du groupe et d’avoir quelques explications sur le nouveau disque avec Christian. 

Que s’est-il passé depuis la sortie de votre deuxième album ?

On a du faire une dizaine de concerts. C’était intéressant de revenir avec un nouveau set. Le dernier concert avant de rentrer en studio était en décembre 2018, en première partie de Etienne (Daho Ndlr) au « Liberté » à Rennes. On mettait un terme au second album, avant d’entamer l’enregistrement du troisième !

 

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(Les Nus en 2019 de gauche à droite : Goulven Hamel, Alain Richard, Christian Dargelos, Remy Hubert, Pierre Corneau - Photo Richard Dumas) 

Tu juges comment la reformation des Nus  ?

D’un point de vue « commercial » c’est loin d’être négatif : on a vendu quelques disques … Bon ce n’est pas énorme mais nos ventes restent somme toutes honnêtes, aujourd’hui avec 2000 exemplaires, tu restes crédible, on y est presque. C’est plutôt au niveau des concerts où j’aimerais que le téléphone sonne plus souvent. En revanche, les cinq membres s’éclatent plutôt bien ensemble. On fait ce qu’on aime et de nos jours, cela n’a pas de prix.

Mais vous avez joué à Paris ?

Oui au « Petit Bain ». C’était un concert spécial : la Seine débordait et nous avons presque dû quitter la salle en catastrophe vers une heure du matin. N’empêche que ce fut un très bon concert. Il y avait une centaine de personnes et le son était idéal ! J’adore ce genre de situation où tu es un peu sur « le fil ». Nous avons pris ça pour un coût du sort mais à l’arrivée ce fut excitant d’un point de vue musical et artistique.

Autre point : la formation est la même !

Oui, tout le monde est resté ! Goulven ( le guitariste) alterne avec le Celtic Social Club. Alain(le batteur)joue parfois avec des potes sur Saint Brieuc . Pierre ( le bassiste) fait de même avec d’autres artistes sur Rennes et ailleurs quand à Remy, il tâte parfois du Jazz vers Nantes ou il réside. 

Aujourd’hui quand on parle des Nus avec des musiciens rennais le mot qui apparait c’est respect, notamment avec ta manière d’écrire et ton parcours .

Tant mieux mais je pense qu’ avec le temps, le fait d’avoir été repris par Noir Désir et avoir connu , grâce à cette cover, une reconnaissance par procuration, cela a engendré une « petite » notoriété. De plus Fred (Fréderic Renaud, guitariste originel du groupe, décédé en 2014 Ndl r) était un grand guitariste qui a joué avec du beau de monde ( Daho, Bashung) . Les gens se souviennent .

 

On attaque le nouvel album : vous l’avez fait où, avec qui ?

On a enregistré la rythmique à Rennes au « Balloon farm » et le reste « Au Faune » un studio qui se trouve à 30 km de Rennes, à côté de Montauban de Bretagne. Il y avait sur place un matériel un peu vintage qui nous a permis d’avoir une large palette de sons. Romain Baousson le réalisateur qui a travaillé avec nous connaissait le studio et cela nous a encouragé à y aller. C’était un lieu vraiment sympa pour travailler en toute sérénité !

Tu peux nous présenter Romain Baousson ?

C’est l’ancien batteur des Bikini Machine. Il a aussi travaillé avec Dominic Sonic. C’est un jeune musicien qui est avant tout batteur mais également multi-instrumentiste et c’est ça qui m’a décidé. Il avait produit des jeunes groupes locaux prometteurs . C’est important d’avoir l’oreille d’un musicien extérieur au groupe.

Mais vous êtes capable de vous produire vous-même ?

Non, enfin si , mais c’est un peu compliqué. Notre dernier disque avait été produit par Rémy (Hubert, clavier du groupe Ndlr). C’était bien mais il n’y avait pas assez de surprises : on retrouvait les versions scéniques , énergique en diable mais qui manquaient de sel ! Je pensais qu’il fallait aller au-delà des maquettes. Les nouvelles chansons surprennent par leurs options , les effets, une couleur plus contemporaine . Romain y est arrivé, il a osé, avec notre accord bien sûr. Il a su garder l’ADN des Nus . J’avais insisté pour l’avoir avec nous et je crois qu’au final , tout lre groupe y a trouvé son compte !

Il s’agit sur ce disque que de nouveaux titres : vous avez tous composé ?

Oui, c’était l’option qu’il fallait prendre : on était obligé d’écrire un nouveau matériel ! On faisait le même répertoire depuis notre reformation. Les titres avaient été composés dans les années 80 et franchement cela devenait un peu …lassant.

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(Les Nus en concert en 2019 - Photo Stéphane Perraux) 

Ce n’était pas dur de composer sans Frédéric Renaud ?

Non, bien sûr j’aurais aimé retravailler avec lui mais sur ce disque, il y a la griffe de Goulven (Hamel guitariste des Nus Ndlr )très personnel, fortement teintée d’électricité. C’est autre chose mais ça régénère l’ensemble. Je connaissais déjà le travail de Rémy bien sûr puisque on avait déjà bossé ensemble. Il c’était beaucoup investi sur le deuxième album. Pierre ,également, (Corneau bassiste des Nus Ndlr ) a imposé la basse comme instrument essentiel sur quelques titres marquant. C’était nécessaire de prendre un virage … Et l’album s’en ressent ! Moi, cela m’a permis d’écrire et de chanter différemment, tout en essayant de garder l’âme des Nus bien sûr !

Ce qui surprend dans ce disque c’est le clavier qui est très présent. Il y a aussi ta voix et tes textes. Ces trois éléments sont la marques des Nus ?

Je trouve que les claviers ont surtout trouvé une autre dimension . Plus en phase avec avec les guitares de Goulven . C’est surtout que les sons que nous avons incorporé ont gagné en intensité et semble plus collé à ce qui se pratique aujourd’hui. 

Il y a aussi tes textes : ils sont superbes, c’est de la littérature : tu es un grand lecteur ?

J’essaye de lire pas mal mais pour écrire un texte c’est plus compliqué : il faut que les mots résonnent, qu’ils chantent . Il faut réussir à trouver le bon alliage entre le texte et la musique pour que cela donne une bonne chanson .

Mais en France tu as été un des premiers à manier les mots, en les faisant sonner de manière poétique sans tomber dans le ridicule ?

Merci beaucoup (rires) mais bon heureusement je ne suis pas le seul ! L’autre jour j’écoutais un morceau de Etienne (Daho Ndlr ) en lisant le texte et j’ai trouvé que le prince de la pop (rires) avait une très belle plume !! C’est rarement cité ! Il y a pleins de gens qui écrivent très bien en France.

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(Les Nus et Etienne Daho, final du concert du 21 Décembre 2019 - Photo Bruno Bamde)

Le premier titre qui m’a frappé c’est « Corpus Christi », c’était le nom du groupe que vous aviez fondé après les Nus . C’est un hommage ?

Non, « Corpus Christi » est en référence à un film des frères Cohen, « Sang pour sang »leur premier il me semble. Un univers incroyable qui se passait dans cette ville du Texas près de la frontière mexicaine. . Je suis assez animé par une certaine vision des USA, je me suis emparé du mot et de son symbole. J’en avait fait un groupe éphémère et aujourd’hui une chanson. Il y a d’autres titres comme « les portes claquent » qui rend hommage à un de mes très bon ami , décédé il y a peu de temps. .

Il y a aussi ce morceau « Vous faites du rock, n’est-ce pas » ?

C’est un morceau souvenir qui évoque mon passé dans la musique. Le texte est assez clair : « nous étions quatre pas peu fier, de faire partie de cet univers ». c’est ma rencontre et nos rêves d’ados avec Frank (Darcel Ndlr) et Pierre (Thomas Ndlr) et nos premiers pas avec Marquis de Sade . Il y a aussi un couplet sur Philippe (Pascal Ndlr)  : « Et puis un jour Henry s’est avancé, prenant ses aises , son visage émacié ». « Henry », C’est le nom du morceau que nous avions fait ensemble avant que je ne sois « remercié » du groupe. Bon, avec sa disparition (Philippe Pascal est décédé le 12 septembre dernier Ndlr) le titre prend une autre ampleur… C’est un condensé qui résume les quarante ans de ma vie en musique … Un passé pas toujours simple mais de bons moments que m’a procuré ce fameux rock dit rennais. !

Tu veux parler de Philippe Pascal ?

Nous n’étions pas très proche mais c’est quelqu’un que je respectais et que j’admirais. Quand il est arrivé dans Marquis de Sade il savait ce qu’il voulait. Il nous a mis dans le droit chemin avec Frank. On était un peu « branleurs », sans consistance et en ce qui me concerne, j’adorais les clichés (rires). On a tous beaucoup travaillé pour en arriver là. On a appris la musique ensemble et trouver un style différent voir inimitable, surtout MDS, je dirais 

Sa disparition a créé un choc à Rennes ?

Oui, on peut parler d’un choc ! Ça nous a secoué surtout après ce retour très positif avec de superbes concerts, un album live plutôt réussi … On attendait le nouveau CD du Marquis avec impatience … C’est vraiment une profonde tristesse que ce départ . Je pense souvent à ces très proches. Puis comme l’a dit Frank (Darcel Ndlr) c’est un peu notre adolescence qui s’est envolé avec lui. Il y avait quarante ans d’histoire plus ou moins commune quand même…

Il y a un autre grand fan des Nus c’est Pascal Obispo ?

Oui, il m’a dit l’autre jour qu’il voulait reprendre « Johnny Colère », j’ai des doutes(rires) Bon, c’est quelqu’un qui a une très belle carrière. Il se moque des médias : il fait vraiment ce qu’il veut. Il nous a aidé et a apporté sa manne sur cet album. De plus , il travaille avec Pierre (Corneau Ndlr). Il se sent redevable de ces années-là. Il n’arrête pas de parler de cette mouvance du rock rennais des années 80. Il raconte souvent que sans nous , surtout Philippe Pascal, il n’en serait pas là aujourd’hui.

Il y a le single « les ravages du temps » ?

Ça m’a été inspiré après avoir avalé une biographie de Rimbaud . J’avais trouvé qu’entre ses magnifiques écrits des débuts et la fin de sa vie, il y avait un vrai paradoxe. Il a fini marchand d’armes et peut-être même négrier , me semble t’il ? . C’est incroyable d’avoir eu un tel génie précoce pour finir ainsi … dévoyé ! C’est ma vision des « ravages du temps ».

Quand tu arrives en studio tes textes ils sont écrits ou tu improvises devant le micro ?

Non, en général ils sont écrits ! En répétition il y a des balbutiements avec des phrases et des couplets. J’ai un vieux cahier où j’écris les textes mais c’est la musique qui décide sur quoi je vais écrire . Tel ou tel sujet . Mais quand j’arrive en studio c’est fait …. Je peux changer un mot ou deux mais pas plus …

Pourquoi le disque s’appelle « Enfer et paradis » ?

J’aurais préféré « l’Enfer ou le Paradis », ça correspondait à un côté cabaret « des années folles »où l’on retrouve Rimbaud, Boulgakov cernés de musiciens en train de faire la fête. Mais l’accroche de base vient de la pochette qui représente le parlement de Bretagne, après son incendie en 1992. C’est un peu le monde que je vois à l’heure actuelle : On ne distingue pas grand-chose , à part des zones de doutes et une foule d’ inquiétudes qui plane au-dessus de nos têtes.

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(Pochette de « Enfer et paradis » - Photo Richard Dumas) 

Une pochette réalisée par Richard Dumas avec qui vous travaillez depuis longtemps ?

Oui, c’est un très grand photographe et de plus un ami ! Quand un artiste de cette valeur te propose de tels clichés, tu ne peux que y souscrire !

Quels sont vos projets ?

On a joué à « l’Ubu » à Rennes le 6 novembre et on rejoue le 20 décembre à Rennes au « Méliès » pour clore l’année. On espère quelques belles dates pour 2020 dont Paris.

Mais vous êtes tous très occupés avec différents projets ?

On arrive facilement à se retrouver : l’année dernière avec l’enregistrement de l’album et tout ce qui précéde , on a beaucoup partagé !

Tu aurais pensé en 1980 que vous seriez toujours là en 2019 ?

Bien évidemment non ! Mais il y a eu une pause de 25 ans quand même … Je pense vraiment qu’il faut poser les choses pour mieux revenir. Nous sommes de nouveau debout et c’est à la fois bizarre et salutaire … Nous étions parti sur une fausse note mais nous devions revenir pour définitivement mettre les choses au point.  ! Personnellement plus j’écoute le dernier album, plus je pense qu’il trouvera sa place un jour ou l’autre sur l’échiquier du rock français.

C’est le son des Nus de 2019 ?

Il y a une certaine continuité entre les Nus de 1982 et aujourd’hui. On est resté fidèle à nous-mêmes, mais heureusement on a grandi et appris des choses en écoutant les autres !

Tu dirais quoi de cet album pour finir ?

Ce sont les Nus en 2019 ! Si cela devait être le dernier album , on pourrait parler de « note bleue »  ! Quand on a commencé, nous saviont abordé la scène mais on a eu plus de mal avec les studios.. Nous avons persévéré et je crois que nous sommes arrivé à quelque chose de viable, parfois d’excitant. Ce disque me conforte dans le fait d’avoir repris cette histoire en marche.

C’est quoi le mot de la fin ?

Ecoutez le nouvel album des Nus, dont nous sommes très fiers et quand les « portes claquent » à la fin, remettez le disque au début parce qu’il le mérite , x fois !!