Hurdy-Gurdy : rencontre avec un groupe inclassable

jeudi 10 octobre 2019, par Franco Onweb

Il existe plusieurs sortes de groupes de musique : les classiques qui rejouent la musique qu’ils aiment, d’autres qui essayent de se démarquer de ce qu’ils connaissent et enfin ceux pour qui la musique est une expérience, un champ d’exploration, un vecteur de plusieurs cultures. Le groupe Hurdy-Gurdy fait clairement parti de cette dernière catégorie.

Emmené par leur chanteur Jérôme Gurdyk dit Hurdyk, ce groupe parisien mélange depuis plus de dix ans le rock, le jazz, le blues et la littérature dans un élégant cocktail qui les rend totalement inclassable ! Un groupe aussi original que passionnant méritait quelques explications que j’ai demandé au chanteur de ce groupe que vous allez adorer découvrir !

Peux-tu te présenter ?

Jérôme Gurdyk dit Hurdyk, du groupe Hurdy-Gurdy. Je précise que « Gurdyk dit Hurdyk » est mon patronyme officiel. C’est bel et bien celui qui apparaît sur ma carte d’identité. Je le précise car on pense souvent que c’est un pseudonyme ou un effet de style voire une pose. Il n’en est rien. « Gurdyk dit Hurdyk » est bel et bien mon patronyme officiel. Et de ce patronyme est né le nom du groupe : "Hurdy-Gurdy’, étymologie probable de mon nom de famille. Dans le groupe, je chante, participe aux compositions, écris les textes ; et j’ai fondé le groupe avec Emmanuelle Favier, laquelle fut à l’origine du nom du groupe

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(Jérôme Gurdyk dit Hurdyk - Crédit photo Jean Baptiste Naturel) 

Il y a qui dans le groupe ?

La formation a beaucoup varié. En ce moment nous sommes cinq : Kim Adam à la guitare, Axel Vallat à la basse, Jean-Baptiste Naturel au piano et à la batterie Fabrice Fenaux, ex Jack The Ripper et actuel Emma Sand , qui vient de nous rejoindre

Cependant sur notre dernier album, c’est Christian Dauvergne qui tient les baguettes et Emmanuelle Favier joue de l’accordéon et fait des chœurs : elle nous a depuis quittés pour une fructueuse carrière d’écrivain (son dernier roman vient de sortir : il s’intitule Virginia , est consacré à l’enfance de Virginia Woolf, écrivain qui m’intéresse moi-même infiniment, et ce roman de ma chère Emmanuelle est, à mon sens, une perle rare).

Cela a commencé comment ?

Le groupe a commencé quand j’étais à la Sorbonne, en étude de lettres. J’ai d’abord rencontré Emmanuelle à un concert de Divine Comedy. Hasard heureux : il se trouve qu’elle poursuivait les mêmes études que moi dans la même faculté. A cette époque j’ai monté une revue littéraire et, pour tout dire, « arty », nommée « Dâé » (clin d’œil à la chanson de Pulp, « Dogs are eveywhere ») et qui a été la première revue à recevoir des subventions de la Sorbonne. Pour promouvoir cette revue j’ai commencé à organiser des séances de lecture mises en musique qui m’ont donné le goût de la scène. Grand amateur de musique, j’ai vite éprouvé l’envie de poursuivre ces expériences scéniques et musicales dans un cadre plus ferme : celui de la chanson donc. Pianiste raté, n’avais-je en effet pas toutes les qualités requises pour monter un petit ensemble musical ? Du piano, oui, mais dans un esprit punk. Emmanuelle Favier venait de commencer à jouer de la basse et les chansons que j’avais commencé de brouillonner eurent l’heur de lui complaire. Nous avons donc commencé ainsi assez simplement : un piano qui bastonne et une basse qui appuie, pas davantage dans un premier temps… Le suite sera plus riche.

On a du mal à vous qualifier : groupe, collectif, projet littéraire, cabaret …

Je suis un littéraire qui, entre autres choses, éprouve une affection des plus vives pour la littérature du XVIIe (le cardinal de Retz, Saint-Simon) et celle qui se situe à la charnière du XIXe et du XXe (Mallarmé, les frères Goncourt, Proust, Colette, exemples parmi tant d’autres…). Et l’idée était de mettre ces racines au service d’un art pour le moins lointain : le saint rock’n’roll qui, tout autant que la littérature, berça mon enfance. Ainsi naquit l’idée de raconter une histoire, de plus ou moins tisser un récit souple à travers les textes - même si la notion d’album concept me fait un peu tiquer : le fameux esprit punk, vous comprenez Mais ce serait mentir que de ne pas dire que les œuvres de Gainsbourg ou Pink Floyd ne m’ont pas laissé de marbre… Alors peut-être. Et l’ambition de faire œuvre, de vraiment faire œuvre, de nourrir de solides ambitions artistiques, pas d’aligner les chansonnettes mais d’investir pleinement la notion d’album aujourd’hui si mise à mal hélas. Et cela davantage dans la pénombre que dans des raies de lumière certes. Mais avec une part de dérision et même, je l’espère, d’autodérision, d’où quelques rares chansons plus pop, plus légères et, par exemple, les paroles parfois grinçantes ou ridicules du personnage principal de notre album, Scarlatine Wepler. Oserais-je espérer que l’ironie à laquelle je fais régulièrement appel est perceptible ?... Quoi qu’il en soit, il s’agissait, originellement - et il s’agit toujours – de monter un petit ensemble musical à touches d’ivoire et cordelettes dont les mélodies s’iraient promener des mélancolies sibériennes jusqu’aux soleils écrasants du plus profond du sud des États-Unis d’Amérique, tout en faisant des haltes choisies dans quelque cabaret berlinois des années 30, ou, au long cours de voyages dans le temps, dans les tréfeuillages baroques du XVIIe siècle français, ou encore dans les monstruosités littéraires et picturales de la fin du XIXe siècle jusqu’aux amorces du XXe. Il y a, certes, dès l’origine, des désirs de ballades qui s’emballent, de la mélancolie qui s’empourpre, qui bleuit, dans de la rage affroidie ... Sombre, lancinant, si l’on veut ; le rock’n’roll primal tout de même rôde au fond du cabaret... des fantômes punks vêtus de collerettes et de fraises... Voilà les chansonnettes que j’aime le plus : des lenteurs trompeuses qui s’achèvent dans des sons de craquements d’os.

Il y a un côté baroque dans votre musique ?

Pour une fois, le mot « baroque » ne me semble pas employé improprement car, certes, j’aime assurément ce qui est baroque : littérature, musique, peinture et en cela ce qui est propre au baroque. Et cela, cela sied passablement à mon caractère qui n’aime rien tant que les courbes, les arabesques, les foisonnements inextricables, les faux-semblants et les trompe-l’œil, les mises en abyme, les miroirs des ondes... Néanmoins, je considère que nous sommes avant tout un groupe de rock auquel on intègre des éléments plus complexes que le rock. Nous ne sommes pas les Stooges , mais cela ne veut pas dire que nous n’aimons pas ça. Pour moi le but est de mélanger une rage primale qui est l’essence du rock avec quelque chose de plus sophistiqué.

Justement le rock c’est une rage adolescente alors que vous c’est plus orchestré. On est loin du côté groupe de rock dans la cave qui fait 1,2, 3 4…

(Rires) Pourtant nous avons longtemps répété dans une cave ! Même si le disque est très travaillé, sur scène c’est plus… brutal… Nous ne sommes plus que cinq et nos concerts sont devenus plus frontaux qu’à une certaine époque. Ceci étant, même à cette époque, Carole Leconte, une saxophoniste qui joue free, nous a parfois apporté, sur quelques morceaux, sur scène comme sur disque, ce petit supplément de rage auquel nous sommes attachés. On peut aimer Pink Floyd tout en aimant Coltrane, Albert Ayler ou le Fun House des Stooges.

Dans votre musique on retrouve du Nick Cave ou du Tom Waits ?

J’aime beaucoup ces musiciens mais ce ne sont pas forcément des références pour tous les membres du groupe. Certainement Nick Cave est essentiel pour moi et je pense qu’il n’y a pas meilleur que lui sur scène. Depuis peu, je ne sais pas pourquoi, mais j’ai plus de mal avec Tom Waits mais assurément il a été essentiel dans ma construction.

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(Hurdy-Gurdy - Photo Fabien Montès) 

Vous pouvez aussi vous revendiquer de Kat Onoma  ?

Assurément j’aime assez infiniment tous leurs albums. Ils ont proposé une musique de grande qualité qui, à mon sens, peine hélas bien trop à exister dans le paysage musical français.

Comme eux vous êtes à la limite du blues, du rock et du jazz ?

Pas sûr. On a pu mettre ici ou là une touche de free jazz mais la chose demeure ténue. Quant au blues, je pense que, musicalement, nous en sommes assez éloignés en fait. Avant tout, je crois que nous sommes un groupe de rock avec, il est vrai, des arrangements très réfléchis.

Ils parlent de quoi, tes textes ?

J’aime à cultiver une forme de mystère autour des textes et j’ai assez le goût de l’abstraction, comme en peinture. Pour chaque texte je pourrais dire de quoi il s’agit. Je pars souvent d’une idée précise que je fais dériver au long cours de mon inspiration. Je tiens à ce que les textes conservent une part de mystère : ils doivent convoquer l’imaginaire des lecteurs ou des auditeurs. Il s’agit de susciter des images, presque sous forme de puzzle que l’auditeur-lecteur pourra recomposer à sa guise. Par exemple, les musiciens d’Hurdy-Gurdy n’ont pas forcément la même interprétation que moi des textes. Et c’est très bien ainsi.

Comment est le processus de création ?

Le plus souvent j’apporte textes et compositions, dessinées maladroitement sur mon piano ; puis, dans un joyeux foutoir presque uniquement éclairé à la bougie, nous mettons bas tous ensemble.

https://www.youtube.com/watch?v=7qLQOrK34YI

Il vient d’où votre nom : Hurdy-Gurdy  ?

Le nom du groupe vient de mon patronyme authentique, « Gurdyk dit Hurdyk », dont l’étymologie est le mot anglais Hurdy-Gurdy qui signifie "Vielle à roue" ou "Orgue de Barbarie". Ce fut Emmanuelle Favier qui proposa ce nom. Je suppose que mon minable petit ego fut trop caressé dans le sens du poil pour pouvoir décliner cette suggestion.

Mais en anglais c’est un instrument : une vielle. Je trouve que cela vous va bien.

Ce côté désuet n’est en effet pas pour nous déplaire. Coco Channel disait, je crois : « La mode, c’est ce qui se démode. » Nous, nous visons l’intemporel, la durée de vie, la persistance. Nous sommes donc férocement animés par la volonté de proposer de la musique de qualité et qui saurait ainsi perdurer par-delà le temps qui file tout en convoquant les mânes d’un passé séduisant : je n’aime guère mon époque et les vertus esthétiques des époques passées me manquent tant… et même, crois-je, nous manquent à tous beaucoup en fait. Alors, écouter Hurdy-Gurdy, c’est peut-être aussi toucher cela du doigt… un voyage dans un passé glorieux, qui a fait ses preuves ?

Vous avez beaucoup joué. Ça se passe comment sur scène ?

Tout dépend des périodes. A une époque on faisait l’intégralité de notre dernier album, plus ou moins un album concept comme nous l’avons évoqué auparavant. Et nous narrions d’un bout à l’autre l’histoire flamboyante et minable de l’héroïne de notre album, la scandaleuse, la minaudeuse, la crapuleuse Scarlatine Wepler. Et il nous arrivait aussi d’avoir des invités. On pouvait alors être assez nombreux sur scène. Maintenant c’est plus simple, plus sec, plus rock, plus brut, plus frontal, puisque nous n’avons plus de guest , plus de cuivres, plus d’accordéons, plus de scie musicale, plus de xylophone.

Mais vos cuivres devaient avoir beaucoup de liberté sur scène alors que votre musique est très écrite ?

La trompette était assez écrite alors que le sax était vraiment « libre », « free jazz », avec les délicieuses dissonances que le genre peut convoquer .

Vous avez joué où ?

Nous avons joué au New Morning, au Gibus, au Réservoir, au Scopitone (ancien Paris Paris), à l’OPA (aujourd’hui Supersonic), à l’espace B, au Blackstar, à la Dame de Canton (où on rejoue ce vendredi 11 octobre).

On parle de vos disques ?

Notre discographie est à l’image de nos disques : compliquée (rires). Disons que nous avons deux ou trois albums en ne sachant pas si le premier est un EP ou un Long Play. Disons que « La chatière » fut notre premier album et « les turpitudes en fleurs de Scarlatine Wepler » notre deuxième.

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(Pochette de l’album "les turpitudes en fleurs de Scarlatine Wepler" - Crédit Fabien Montès et Yann Martin)

Vous l’avez fait où et avec qui ?

On s’est autoproduit. On l’a enregistré dans notre local de répétition qui se situait à Belleville à l’époque. Nous avons tout fait nous-même sauf le mastering qui été réalisé par Franck Morel. Notre guitariste, Kim Adam, l’a lui-même mixé.

Tu le définirais comment cet album ?

« Les turpitudes en fleurs de Scarlatine Wepler » est un album un peu particulier puisqu’il se veut une sorte de conte cruel composé de chansons elles-mêmes précédées de brefs chapitres musicaux. On se retrouve ainsi avec 74 minutes de musique, 22 plages et 11 chansons : plat gargantuesque ; nous tenions à aller jusqu’au bout des capacités temporelles et donc toucher les limites artistiques du compact disc. Si nous avions pu, on en aurait mis encore davantage (sourire). Et on tenait à ce que notre auditeur soit, au terme de l’écoute de notre album, à la fois lessivé et infiniment repu.

Tu peux nous parler de cet album et notamment du personnage central ?

Scarlatine Wepler est une jeune femme, jolie, infiniment charmante et légère dans tous les sens du terme, cultivée ; une femme fatale échappée d’une toile de Gustav Klimt, dit le poète, mais, somme toute, aussi très contemporaine. Une seule manière de faire plus ample connaissance : écouter notre album…

Vos visuels sont très travaillés ?

Merci. C’est Fabien Montes qui les a réalisés.

Quels sont vos projets ?

Nous allons, je pense, arrêter les concerts pour nous concentrer sur l’écriture de nouveaux morceaux. Nous n’avons pas encore commencé à travailler, nous ne savons donc pas si la suite sera dans la continuité de notre dernier album. C’est fort possible et, à mon sens, souhaitable ; ce en essayant encore de nous améliorer. Le changement n’est pas forcément une donnée indispensable. Il faut savoir faire ce que l’on peut faire du mieux possible. Avant tout, nous sommes réellement animés par la ferme volonté, dans la mesure de nos moyens, d’écrire les meilleures chansons possibles avec les meilleurs arrangements possibles. Bien sûr, ce n’est pas ensuite pas à nous de dire si nos objectifs ont été atteints.

Tu sais quand vous allez sortir un nouvel album ?

(Rires) Houla, je ne m’engage plus parce qu’on a mis si longtemps à sortir le précédent… Ce fût un tel boulot. Et je pense aussi que le prochain sera un EP plutôt qu’un LP : on a certainement envie de sortir quelque chose plus rapidement. En revanche, en parallèle j’ai un autre projet avec le pianiste du groupe, Jean-Baptiste Naturel. Nous avons six chansons très orchestrées qui sont quasiment terminées. Frank Dran d’Emma Sand est à la guitare. Nous ne savons pas encore sous quel nom nous allons sortir ça.

Vous avez une grande liberté musicale ?

C’est sûr qu’on ne se refuse rien. On ne tient pas à remplir le cahier des charges de tel ou tel genre musical. Bien au contraire. Comme je le disais auparavant, on vise, pardon, rien moins que l’intemporel alors on essaie, modestement de ne pas être trop influencés par les modes, les genres, les codes...

Vous ne seriez pas des dandys ultimes ?

La formule est de toi et ce n’est certes pas à moi de le dire. Oscar Wilde disait que toute personne qui se proclamerait « dandy » cesserait aussitôt de l’être. Je cite de mémoire. Bon, je suis coquet… La belle affaire hein. Tout cela reste, somme toute, anecdotique. C’est la musique qui importe avant tout, par-dessus tout. C’est la musique qui nous importe avant tout, par-dessus tout. C’est vraiment faire de l’excellente musique qui importe avant tout, par-dessus tout.

 

Hurdy-Gurdy en concert le 11 octobre 2019 à la Dame de Canton 

Port de la Gare - 75013 Paris à 20 h  

 

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