Gregg Anthe : de Morthem Vlade Art à HNN en passant par In Broken English

mardi 10 avril 2018, par Franco Onweb

Personnage discret mais très influent Gregg Anthe est un des musiciens Français qui a le mieux réussis à s’imposer à l’international avec son groupe, Morthem Vlade Art. Depuis le milieu des années 90 cet amoureux de Cure joue une électro-pop jugée trop souvent comme « cold » ou « Gothique ». Une musique qu’il a su faire évoluer au gré de ses différents projets (In Broken English, HNN).

Aujourd’hui musicien de scène pour Trisomie 21, il parcourt les différentes scènes d’Europe avec un talent et un classe inégalable. On s’est rencontré à Paris début Mars, un vendredi soir et il a profité de cet entretien pour annoncer la sortie prochaine d’un nouvel album de Morthen Vlade Art, plus que un scoop : une vraie bonne nouvelle !

J’ai découvert la musique par ma mère qui en écoutait beaucoup : du classique surtout, Pink Floyd, Genesis, Kate Bush, et puis mon oncle, Clash, Bowie, Kraftwerk, les trucs de l’époque. A l’adolescence j’ai découvert les Cure, Depeche Mode et tout ce qui s’en suit ! Le premier morceau qui m’a marqué c’est « Charlottes sometimes » vers 1984, mais quand j’y pense, je crois que Ashes To Ashes avait déjà fait son œuvre, je me suis tout de suite senti à l’aise avec ça. Plus tard des groupes plus obscurs, plus sombres, ont fait leur entrée.

Plus sombres ?

Oui, Throbbing Gristle, Cabaret Voltaire, pas mal de Krautrock aussi

Tu commences quand la guitare ?

Assez tard, vers 15 ans. En fait, j’ai commencé par la batterie à 6 ou 7 ans, ensuite le piano à 11 ans pendant deux ans, et la guitare. J’ai ensuite rejoint un groupe à 15 ans, c’était du rock alternatif.

Tu as fait un groupe alternatif ?

Oui c’était l’époque ! Personnellement je n’ai jamais accroché à ce type de musique mais les seuls musiciens intéressants du coin faisaient ce type de son. Bon j’aimais bien « Métal Urbain » quand même. Et puis, un peu plus tard, j’ai rencontré deux gars qui écoutaient les mêmes choses que moi, les productions de Mute, de la Factory, mais aussi « Front 242 », « Trisomie 21 », etc…

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(Gregg Anthe en 1998 - Droit réservé) 

Nous y voilà !

Trisomie 21 ? Je suis tombé dedans plus jeune (rires), une cassette que je traînais, face A, T21, et face B, Killing Joke. Je l’ai toujours !

Donc tu ne viens pas du blues (rires) !

 (Rires) Pas vraiment ! On parle d’une époque où beaucoup de musiciens n’aimaient que Dire Straits… (rires) 

C’est quoi ton premier groupe ?

Un groupe de musique électronique. On utilisait principalement des synthétiseurs et des percussions métalliques, des trucs qu’on construisait nous-même, des bouteilles de gaz aussi. L’un des membres, Christophe Vonwill, jouera d’ailleurs plus tard aux claviers avec Morthem Vlade Art. Il tient aujourd’hui un club assez pointu, le 101, à Clermont-Ferrand. On a jamais rien sorti mais c’était pas mal je crois pour notre âge et l’époque. 

Et donc on arrive à « Morthem Vlade Art » ?

Oui c’est le groupe que j’ai formé avec Emmanuelle, ma femme, à la sortie du lycée. J’ai bien commencé quelques études d’économie mais j’ai arrêté rapidement. On a d’abord testé des choses, fait une démo et on a très vite signé sur le label allemand Pandaimonium Records qui n’avait que deux groupes à ce moment-là : nous et Clan Of Xymox.

Tu définirais comment ta musique à l’époque ?

Au début c’était plutôt « batcave » comme on disait encore à cette époque, parfois deathrock, surtout le premier album, et puis on a commencé à épurer notre son pour arriver à quelque-chose de plus « électronique », voire industriel sous certains angles avec un deuxième album qui a bien marché en 1999. On s’est même retrouvé pour la première fois dans des charts en Allemagne.

Il y a un vrai réseau pour ça ?

Oui, pas énorme, mais c’était là. On se connaissait tous à Paris. A l’époque tout cela fonctionnait essentiellement à travers les fanzines, quelques radios.

Vous avez beaucoup tourné ?

Pas mal ! On est parti en tournée avec l’album « Organic But Not Mental » je crois. On a surtout joué à l’étranger, en France on a fait peu de dates. Je me souviens surtout de la première partie de Suicide à Paris.

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( Morthen Vlade Art en concert au Paradiso à Amsterdam en 2003 -

 Pho to Kare Magnole) 

C’était chanté en anglais ?

Oui, pour moi c’était impensable de chanter en français pour des questions de sonorités. Il m’aura fallu quelques années avant de me mettre au français avec HNN.

Il y a eu beaucoup de remixes ?

Du groupe pour d’autres artistes ? J’en ai fait très peu : Indochine, Trisomie 21 et Clan of Xymox. Bien plus tard et principalement pour le projet HNN, il y a eu pas mal de remixes qui ont été faits par des artistes comme Kas Product, Clock DVA, Arnold Turboust, Alexander Robotnick, Michael Mertens (le compositeur de Propaganda) et plein d’autres…

Pourquoi la France vous a ignoré ?

On était sur un label allemand et la majorité de la promotion se faisait en Allemagne. Notre musique plaisait moins, tout simplement. Mais bon, on a fait cinq albums, deux compilations dont une sortie aux Etats-Unis sur le label Luminal Records à Atlanta. On a pas mal vécu.

Aujourd’hui tu joues sur scène avec Trisomie 21. Est-ce que tu vois des similitudes entre les publics ?

Oui et non. Les « goths » ne sont plus très présents, par exemple. On en a vu quelques-uns à Londres et à Strasbourg. Je suis surtout surpris de voir toute une nouvelle génération écouter ce style de musique, ils connaissent, ils chantent avec nous, c’est très agréable.

Mais il y avait un vrai réseau presque gothique en France ?

Oui, c’est le réseau dont je te parlais tout à l’heure, mais je ne crois pas que les jeunes qui sont à nos concerts aujourd’hui viennent de cette scène-là. Ils n’ont rien de « gothique » en tout cas. Beaucoup de musiques électroniques actuelles flirtent avec la new wave, le post-punk. Je pense qu’ils viennent de là.

Mais c’était compliqué pour vous la France ?

Un peu mais on ne va pas se plaindre, on a fait quelques trucs quand même, on a été invité par Philippe Manœuvre sur une de ses émissions tv à l’époque pour jouer un titre en live à la sortie de « Antechamber ». On passait sur certaines radios nationales, Nova notamment. France Info avait fait une chronique musicale au journal pour notre dernier album, Rock & Folk nous a toujours soutenu, D-Side et Elegy aussi.

Et en 2005 vous jetez l’éponge, pourquoi ?

On en avait marre ! On voulait passer à autre chose. Et puis je voulais monter un groupe plus « classique », guitare, basse, batterie… J’ai monté alors In Broken English.

 Un groupe plus rock ?

Oui, à vrai dire j’ai eu l’impression de faire le même travail qu’avec « Morthem Vlade Art » finalement, c’était une suite logique, une respiration peut-être.

Tu écoutais quoi quand tu commences « In Broken English » ?

Les mêmes groupes qu’avant, Autechre, Einsturzende Neubauten, Bauhaus, New Order, Pixies. Je crois que j’écoutais pas mal Nick Cave à ce moment-là.

Tu dois l’adorer ?

J’ai un rapport très particulier avec lui : c’est un artiste exceptionnel mais il y a toujours quelque chose qui me dérange, un moment où je décroche. A part peut-être « Abattoir Blues/The Lyre of Orpheus » que je trouve magnifique tout du long. Mais tu vois si on peut comparer, je me sens beaucoup plus proche de PJ Harvey par exemple, de son travail ou si on reste dans les Bad Seeds, des travaux de Mick Harvey.

Tu as été intéressé par l’électro ?

Tu parles du genre électro ? Underground Resistance ? Dopplereffekt ? Oui un peu, j’ai suivi tout ça de loin mais j’ai surtout écouté les groupes qui les ont influencés, Kraftwerk en tête, un groupe qui m’a toujours suivi et me suit encore, Yellow Magic Orchestra.

Ça existe toujours In Broken English ?

C’est en « standby ». J’ai fait deux albums et quelques concerts mais je me suis beaucoup plus consacrer à HNN ces derniers temps.

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(En concert avec HHN à Vienne en 2011- Photo Virginie Soulié) 

Ton projet solo ?

Tous mes projets, à part Morthem, sont des projets solos. Musicalement j’ai toujours tout fait tout seul sur mes disques. A part quelques exceptions, je pense à Callie Uleners, chanteuse américaine qui me prête sa voix et a écrit quelques titres avec moi sur In Broken English par exemple. Les musiciens sont surtout là pour la scène. Emmanuelle a aussi écrit une grande partie des textes de HNN.

Tu as fait des trucs à côté ?

Non, à part les trois remixes dont je t’ai parlé, rien du tout. J’aimerais beaucoup faire de la musique de film, j’ai quelques pistes qui vont dans ce sens, j’espère que ça se concrétisera. A la fin des années 90 j’avais aussi fait la musique d’une pièce de théâtre à Paris.

On arrive à Trisomie 21 dont tu es le guitariste de scène ?

Selon les titres, je suis à la guitare ou à la basse, je m’occupe des chœurs également. Ils ont fait appel à moi. C’est venu d’Olivier, leur manager, qui me connaissait à la suite de mon remixe sur « Paradise » d’Indochine. Il a écouté Morthem Vlade Art et il a aimé. Il a ensuite fait découvrir mon travail à Philippe et Hervé. Plus tard ils m’ont demandé de faire un remixe et le résultat leur a plu. Ils en ont fait un ensuite pour HNN, et bref, lorsque T21 a dû partir en tournée, ils m’ont proposé de les accompagner. On est allé répéter au Touquet le mois suivant.

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(Sur scène à Lille en 2017 avec Trisomie 21 - Photo Philippe Carly)

Très chic (rires)

Oui (rires), J’adore dire ça ! C’était un relais de chasse avec 100 hectares de bois, un tennis, un étang. Toute l’équipe était sur place. C’est un excellent souvenir, on s’est tout de suite tous très bien entendus.

Tu n’es pas membre du groupe ?

Non. Trisomie 21 ce sont Philippe et Hervé et même si l’on travaillait ensemble encore 10 ans ça reste leur projet, leur groupe. Cela étant je m’investis de la même manière. J’essaye juste d’organiser mon temps différemment de manière à avancer sur mes projets. On vient de finir l’enregistrement d’un tout nouvel album de Morthem Vlade Art, et je travaille là sur le prochain HNN.

Un nouveau Morthem Vlade Art ?

Oui, on s’est retrouvé avec de la matière, du son à exploiter avec Emmanuelle, de quoi faire tout un album. Il sortira en septembre, peut-être avant.

Il y aura des dates ?

Je ne peux pas te dire pour l’instant mais j’y pense sérieusement.

Et un nouveau HNN donc ?

Tout à fait. Je vais attaquer le mixage ce mois-ci. Cette fois, la partie voix féminine sera assurée par Agnès Gayraud, connue sous le nom de La Féline. C’est Marc Collin (Nouvelle Vague) qui m’avait suggéré son nom, je suis tout de suite tombé amoureux de sa voix. Marc a aussi participé à l’enregistrement des voix d’Agnès et m’a prêté quelques claviers.

Le nouveau Morthem Vlade Art est différent, ou tu as gardé le même son ?

Il y a plus de guitare, de batteries et les voix sont plus présentes. 14 ans séparent cet album du dernier, on a forcément changé (rires).

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(Pochette du nouvel album de Morthem Vlade Art, « In the Blue Plains of Paradise » - Droit réservé) 

Et tu vas travailler avec Frakture ?

On en a effectivement parlé avec Sergeï Papail, mais je n’aurai pas du tout le temps de m’y consacrer sérieusement. Au mieux, je leur donnerai mon point de vue, apporterai quelques idées.

Tes projets ?

Deux nouveaux albums donc, Morthem Vlade Art et HNN et la tournée avec Trisomie 21 qui s’allonge de jour en jour. On est encore parti pour au moins un an.

La dernière question : quels disques tu donnerais à un enfant pour qu’il découvre la musique ?

J’en ai aucune idée. David Bowie et Rachmaninov probablement.

Liens :

Morthem Vlade Art :

    https://morthemvladeart.bandcamp.com/

In Broken English :

    https://inbrokenenglish.bandcamp.com

HNN :

     https://hnnmusic.bandcamp.com/album/l-le-nue