Comment la musique est entrée dans ta vie ?
Très jeune, mais alors vraiment jeune, vers deux trois ans, ma mère m’a toujours dit que je me servais d’un électrophone. Le seul moyen qu’il y avait pour me calmer était de me passer des disques : des contes, de la musique pour enfants, le Petit Prince… ce genre de chose ! Dès que j’ai découvert la pop américaine ou anglaise, ça a été la révélation. Un de mes grands souvenirs d’enfance, c’est quand je suis allé à Londres avec ma mère. J’avais dix ans. La première chose que j’ai faite, ça été d’aller chez un disquaire pour m’offrir « see Emily play » le deuxième single des Pink Floyd !
Tu habitais où, à l’époque ?
À Lorient, et on ne peut pas dire que c’était une ville très branchée musicalement, mais il commençait à y avoir de petits festivals de rock, des choses comme ça… J’ai commencé à jouer de la batterie à 13 ans, dans les années 1970.
Tu venais d’une famille de musiciens ?
Mon père était musicien amateur, il avait été Zazou, il avait joué du trombone, de la batterie et du piano. Il adorait le swing, le jazz… Et très tôt on a appris ça, nous les enfants, dès qu’il y avait un voyage en voiture, on écoutait de la musique et surtout on chantait et on « scattait » ! Il adorait aussi Brassens, Boris Vian, Bobby Lapointe, tous ces trucs… Un des premiers disques qui m’a fasciné était un disque de Thelonious Monk (« Monk’s Music ») ! Mais surtout j’étais fasciné par la pop et je passais mon temps chez les disquaires à écouter de la musique ! Dès l’âge de 7/8 ans, tout mon argent de poche passait en 45t de l’époque !
https://www.youtube.com/watch?v=HTnjghh4nJ4
Tu commences quand le saxophone ?
Beaucoup plus tard, j’ai d’abord commencé par le piano classique. Assez vite j’en ai eu marre. Mes parents m’ont alors acheté une batterie : c’était le cadeau de mes rêves ! Comme je travaillais bien à l’école, ils me l’ont offert ! J’ai fait mon premier concert à Lorient à 14 ans à la batterie avec deux frères : Bertrand et Emmanuel Binet, respectivement à la guitare et à la basse et eux aussi sont devenus professionnels. On faisait des reprises de trucs progressifs comme « Chicago Transit Authority », « King Crimson » ou alors le « Plastic Ono Band », ce genre de trucs… J’avais mon groupe à Lorient : « Everlasting » !
Tu arrives quand à Rennes ?
Pour mes études, en fait j’ai eu une adolescence précoce et assez tumultueuse : j’étais attiré par la contre-culture, la contestation, les trucs hippies… À treize ans j’avais déjà les cheveux longs et la barbe ! Je passe mon bac en candidat libre en 1973, après m’être fait virer du lycée pour « perturbation de la santé morale des élèves de la classe » (rires), et après avoir sauté une classe à 15 ans. Après je pars à Rennes pour la fac (où je passerai une licence de lettres modernes et une de philosophie au passage !) et continuer la musique avec les frères Binet. On a loué une maison ou je suis resté 9 ans, et où il y a eu plein de fêtes.
Ça bougeait à l’époque ?
On découvrait le reggae, les musiques du monde, il y avait le rock progressif, j’adorais « Soft Machine », « Captain Beefheart » et « Zappa » … Parallèlement j’ai découvert le free jazz : j’y suis venu par le jazz rock, « Weather Report » était énorme à l’époque et puis aussi le funk, James Brown et Sly Stone qui ont été importants pour moi très vite, comme John Coltrane et surtout Miles Davis. Il y avait aussi la pop. Ma musique de cette époque, c’est un mélange de tout ça ! Mais ce qui me plaisait le plus c’était encore les trucs contestataires, hors marge et là je commence vraiment le saxophone vers 17 ans en 1974.
Tu t’es senti à l’aise avec l’instrument ?
Pas tout de suite, mais assez vite quand même ! J’ai fait un an de conservatoire, c’est là que j’ai rencontré Daniel Paboeuf (son alter ego musical durant de longues années dans ses différents groupes et projets NDLR). Très vite on sympathise. C’est l’époque où Herve Bordier qui était disquaire à Rennes (Disc 2000 NDLR ) avait déjà une association et organisait des concerts à la salle de la Cité avec « Gong », « Caravan » ou « Magma »… Son magasin était le lieu de rendez-vous de tous les musiciens rennais ! Et puis en 1977/ 1978, on a vu apparaitre les premiers groupes punks, et puis les Damned ont joué à Rennes avec en ouverture la première mouture de Marquis de Sade, et j’étais dans le public qui pogotait, bien sûr !
C’est là que ça commence ?
Pour beaucoup oui ! Moi ce qui m’intéressait, c’était vraiment le truc contestataire ! Dès que quelque chose d’un peu différent apparaissait je sautais dessus : je n’avais aucune barrière, je n’appartenais à aucune scène... Et c’est vraiment un parti pris de départ ! J’ai appartenu à la scène rennaise, mais sans y adhérer vraiment, j’étais libre !
Pourtant on dit qu’avec Pabœuf vous étiez le centre de cette scène…
C’est à cause de ça ! On créait des ponts entre les musiciens, on favorisait les passerelles… C’est comme ça que l’on amenait ces musiques vers ailleurs, en étant très ouvert ! Par exemple, j’avais déjà participé à des trucs de musiques africaines à Paris, on brassait les chapelles ! Beaucoup à Rennes étaient dans leurs habitudes punk, mais d’autres comme Bordier, Brossard et même Philippe Pascal (chanteur de Marquis de Sade puis de Marc Seberg NDRL) ou Frank (Darcel, fondateur et guitariste de Marquis de Sade NDLR ) avaient une autre culture plus ouverte, parfois plus littéraire ou plus picturale… Daniel (Pabœuf NDRL) et moi on était libres, on avait fait tellement de trucs que certains nous regardaient parfois bizarrement. On a eu du mal à être intégré parce qu’on avait fait des trucs avec untel ou untel comme par exemple avec le groupe de free jazz celtique "Kan Digor", où on trouve d’ailleurs mon premier enregistrement discographique, à la clarinette basse, sur l’album "A New Gathering" en 1979 !
Pourtant vous rentrez dans Marquis de Sade ?
Avec Daniel, nous étions des invités permanents du groupe ! Nous n’avons jamais été membres du groupe à part entière, même si dans les faits c’était le cas ! Je pense qu’ils avaient un peu peur car nous avions, surtout moi, bien plus extraverti, des personnalités très marquées…
En parallèle il y a Sax Pustuls, dont la première mouture date de 1978
J’ai créé le groupe tout seul en fait avant il y avait un groupe qui a fédéré tout ça qui s’appelait « Entre les deux fils dénudés de la dynamo ».
Quel nom !
Oui, c’est Pierre Fablet (grand agitateur Rennais NDLR) qui avait trouvé le nom. On a joué à « La semaine de la musique actuelle » qui précédait les Transmusicales. On avait des invités comme Étienne Daho, Richard Dumas… Beaucoup de gens trainaient autour, c’était dans l’esprit « Happening ». Les groupes étaient montés pour l’occasion. Il y avait aussi ma copine de l’époque Nicole Calloc’h au chant qui était très amie avec Étienne (Daho NDRL). Pour info, c’est moi, quand il nous a fait écouter ses premières maquettes, qui lui ai dit d’aller travailler avec un guitariste, moi je ne jouais pas de piano ou de guitare, donc il s’est retrouvé avec Richard (Dumas NDRL )…
Et donc, les Sax Pustuls ?
Moi j’étais très fan des Résidents, le groupe américain, et on voulait faire un truc dans cet esprit-là ! Donc on a stabilisé le groupe avec Nicole et Daniel et les gens gravitaient autour !
Et puis Marquis de Sade explose en 1978 !
Au début, c’était assez moyen parce qu’honnêtement ça ne jouait pas très bien ! Mais il y avait un truc qui se dégageait et surtout on remarquait les deux personnalités : Philippe Pascal et Frank Darcel ! Il y avait un vrai antagonisme, c’était presque des frères ennemis… D’ailleurs le groupe n’aurait presque dû jamais exister : il y avait ce problème d’égo entre eux. Les deux se sont aperçus inconsciemment que c’est comme ça qu’ils allaient éclater ! Ils n’ont jamais été potes ! Daniel et moi par contre ont été très potes avec les deux : on se marrait beaucoup avec eux !
Tu arrives quand dans le groupe ?
J’étais là dès le départ, dans leur entourage, mais ils ont préféré Daniel à moi alors que j’avais été plus intéressé que lui pour jouer avec eux, je ne sais pas pourquoi… Ils ont fait le premier 45t avec Daniel et après sur le premier album « Dantzig Twist », il a joué dessus, mais moi je gravitais toujours autour d’eux… Il y avait une sorte d’attirance, répulsion (rires) et puis on a tenté les deux sax sur la reprise du Velvet Underground « White light, White Heat » qui était sur la face b d’un 45t qui s’appelait « Rythmique » qui devait être un hit, mais qui a été un flop ! Et là, on s’est rendu compte que ça valait le coup de jouer ensemble ! C’est le moment où Frank a pris la guitare seul. Il avait trouvé la bonne rythmique avec Éric Moriniére et Thierry Alexandre qui étaient vraiment ses lieutenants. Juste eux trois et les deux saxophones cela fonctionnait bien surtout qu’en plus il y avait Philippe au chant qui était un vrai personnage. On a joué au Printemps de Bourges au printemps 1980, un concert fondateur pour cette nouvelle formule et puis on est parti en tournée pour préparer « Rue de Siam » (le deuxième album de Mds NDRL).
Tu avais conscience de l’importance du groupe ?
Oui, dès que les ai vus sur scène j’ai été fasciné par la présence et le charisme de Philippe Pascal et par le côté épuré de Frank qui savait écrire et construire des morceaux !
Mais ils n’étaient pas trop rigides pour toi ?
Non, on avait beaucoup discuté avant et j’ai amené d’autre chose : le côté free, les arrangements bizarres… Quand on écoute aujourd’hui les concerts de l’époque, il y avait un vrai côté avant-gardiste. Il y avait des chansons courtes, très incisives comme « Japanese Spy » avec le jeu de scène de Philippe (Pascal NDLR ) pantin désarticulé et Daniel et moi, on était derrière comme des soldats, des piliers, chacun à un bout de la scène. Et puis, il y avait de longs délires à deux saxophones en plein milieu de la sublime ballade « Boys-Boys »… Il n’y avait aucun équivalent ni en France, ni en Europe… C’était un groupe à part. Mais il fallait toujours faire le tampon entre Philippe et Frank et à un moment, on a plus réussi et il y a eu le clash. Les deux plus malheureux de cette séparation ont été Daniel et moi. Frank me disait : « on va se séparer, on va devenir un groupe mythique… », mais qu’est-ce que j’en avais à foutre de devenir un groupe mythique même si on l’est devenu (rires) ! Je voulais continuer, faire une vraie carrière…
C’est l’époque où la scène rennaise explose avec « les Nus », « Frakture » …
J’ai été batteur de « Frakture » pendant un an environ : un moment très important pour moi ! Leur batteur était parti à l’armée et comme j’avais été batteur, je l’ai remplacé pour une dizaine de concerts assez mémorables ou la batterie finissait un peu partout (rires)… Mais c’était vraiment bien !
Quelle est ton analyse de cette scène ?
Il y avait un vrai aspect de liberté que l’on insufflait, une volonté de n’appartenir à aucune chapelle ! On faisait plein de trucs, il n’y avait pas que la musique : il y avait Jean Charles Blais (le peintre NDLR ), Stéphane Plassier (le couturier NDLR ) … Il y avait plein de gens qui se complétaient. Quand les Parisiens venaient, c’était une bouffée d’air frais pour eux : on faisait la fête tout le temps ! Il y avait la position géographique de la ville avec ce côté atlantique qui nous insufflait un souffle différent…
Est-ce que l’importance d’Hervé Bordier (Co fondateur des Transmusicales et manager de Marquis de Sade NDRL ), qui a créé les structures à Rennes n’a pas été capitale ?
Si, bien sûr ! Il a permis d’avoir plein de concerts. Il avait du nez, un côté fédérateur et il agissait ! Il a créé les Transmusicales avec Jean Louis Brossard et Béatrice Macé. C’était un mec qui avait une vraie vision !
Après Marquis de Sade, il y a les Sax Pustuls et « La Danse du Marsupilami » dont tout le monde attendait un tube et ça ne l’a pas fait !
Oui, ça m’aurait plus pourtant, surtout pour le côté financier (rires), même si l’argent n’a jamais été la préoccupation majeure !
Et puis il y a eu « Anches doo too cool » !
Ah non, ça c’est beaucoup plus vieux : c’est le premier groupe que l’on a monté avec Daniel et qu’on a toujours eu ! Pour le premier concert, il y avait Philippe Maujard (chanteur d’Ubik et autre grand agitateur Rennais NDLR). Tout ça se passait souvent à la MJC de la Paillette qui a été un vrai laboratoire à Rennes. En tout cas, on a beaucoup tourné avec ce groupe et c’est grâce à lui que l’on s’est mélangé à tout le monde. On faisait une musique inclassable, ni jazz, ni free… C’était juste deux sax en roues libres Notre premier album "Nous d’Eux" en 1980 chez "Celluloïd" était produit par Philippe Conrath (que j’ai retrouvé par la suite avec "Marquis de Sade" et "FFF" dont il était co-éditeur avec CBH-Cobalt et qui vit maintenant à La Réunion où il travaille notamment avec Danyèl Waro et Zanmari Baré), et notre deuxième disque paru chez Epic a été enregistré en public dans l’église Toussaint à Rennes en 1981 !
Pour en revenir à Sax Pustuls ?
On a été signé chez Epic juste après la séparation de « Marquis de Sade ». On a enregistré un album au Château d’Hérouville et quelques semaines avant la sortie du disque, Daniel quitte le groupe ! Il n’avait pas apprécié l’enregistrement ! Et là tout a capoté : plus de promo, plus rien… J’étais écœuré et j’ai décidé d’arrêter la musique. Je suis parti sur un bateau qui s’appelait « la mort » avec un copain, pour faire le tour du monde. On est parti en novembre et rien ne s’est passé comme prévu : le golfe de Gascogne était dur à naviguer, on a eu un problème et on a cassé le moteur en essayant de repartir de La Corogne ! Sans bateau, je suis retourné chez mes parents, j’avais plus d’appart à Rennes. C’est là que je renoue avec Frank pour jouer dans « Octobre », son nouveau groupe, pour la tournée au printemps 83. On était toujours amis tous les deux et on monte une section de cuivres pour le groupe… C’était difficile, mais on a fait quelques bons concerts !
Dont la première partie de David Bowie à Auteuil !
Oui, un très grand souvenir pour moi, mais le groupe n’a pas continué, je crois que Franck à l’époque travaillait beaucoup pour Étienne (Daho NDRL) . C’était difficile de faire les deux !
Tu as joué avec lui ?
À la fin de Marquis de Sade, on a enregistré le premier album d’Étienne, « Mythomane ». C’est moi qui faisais le sax : on était à fond dedans ! Bon, le disque a eu un succès d’estime et on a fait quelques bons concerts avec Étienne, notamment au « Stanley’s » une boite près de Rennes ! Il faisait partie de la bande, on trainait ensemble à « l’Épée » un bar de Rennes. Et pourtant, on ne peut pas dire qu’il ait été reconnaissant à mon égard…
Et après Octobre ?
J’avais rencontré peu de temps avant Jean-Jacques Goldman dans les bureaux d’Epic qui était notre maison de disques à tous les deux, enfin celle des « Sax Pustuls ». On avait sympathisé et les patrons d’Epic lui avaient suggéré de me prendre en 1982 sur son deuxième album juste avant que je ne parte en bateau. J’avais joué sur « Quand la musique est bonne » et d’autres tubes. Je lui avais dit que s’il cherchait un sax pour la scène, j’étais là ; j’adore la scène ! Lui ne voulait pas en faire. Et un an après, en juillet 1983, je reçois un coup de téléphone pour me dire qu’une tournée se montait avec de grands noms comme musiciens : Manu Katché, Guy Delacroix ou Jean Yves d’Angelo ! On me demandait si je voulais faire le saxophone. À l’époque je voulais arrêter la musique, mais j’ai accepté parce que notamment cela me permettait de m’installer à Paris. J’y suis resté 10 ans !
Tu tranchais beaucoup avec les musiciens de Goldman ?
Oui, c’est pour ça d’ailleurs que j’ai accepté de continuer. Au départ c’était une expérience, mais il me permettait d’avoir le rôle que j’avais : le fou du roi ! Je pouvais faire de longs solos barrés… Je n’étais pas juste le musicien… Je faisais partie intégrante de son concert !
Mais lui te laissait assez libre ?
Attends, Jean Jacques c’est un mec très intelligent avec une grosse vision des choses et il avait compris qu’en prenant un musicien comme moi, ça ne servait à rien de le mettre derrière un pupitre. Il avait compris qu’il fallait laisser s’exprimer les gens !
Tu te sentais à l’aise là-dedans après tout ce que tu avais connu ?
Moi ça m’amusait : c’était une expérience. J’avais envie de voir ce que c’était et j’avais la possibilité de jouer. Il y avait des passages où je pouvais m’exprimer, mais c’était aussi et surtout un travail : je faisais mon job ! Pourtant, je ne voulais pas être musicien professionnel, mais c’était une façon de travailler, mais attention je n’ai jamais été honteux de jouer avec lui !
On parle de GYP, tu as joué sur l’album ?
Je m’en rappelle à peine, j’ai les souvenirs des fêtes avec Guillaume (Israël NDRL ) et je n’arrêtais pas de lui dire de se calmer sur la dope et l’alcool. Il était tout le temps dans l’excès. J’ai enregistré une journée à Marcadet et ça c’est super bien passé : la musique était bien, les gars étaient cools ! À l’époque je vivais à toute vitesse tout en faisant attention aux abus. Moi ça me faisait chier de voir des potes partir dans tous ces trucs, je leur disais de se calmer ! Mais bon, c’était l’époque !
À côté de Goldman, tu continues à faire des trucs ?
On avait sorti deux albums avec « Anches doo too cool » au début des années 80 et on en a sorti deux autres en 1987 et en 1990 chez Barclay. Ce qui était bien avec Goldman, c’est qu’on avait de grandes périodes où l’on était tranquille et ensuite, c’était à fond pendant six mois ! C’était idéal pour moi : je pouvais faire ce que je voulais sans aucune contrainte financière ! C’est l’époque où j’ai joué avec « Zazou-Bikaye » ce qui a été très important pour moi : un des premiers groupes à mélanger la musique africaine et l’électro ! On a fait des trucs incroyables : on a été en Europe de l’Est, la première fois que j’ai été à New-York, c’était pour jouer avec eux, en janvier 1986, j’ai même eu droit à ma photo dans le « New-York Times » ! Et aussi, J’avais un autre grand pote qui s’appelait Jean Claude Asselin qui jouait de la mandoline de manière totalement barrée avec qui je continuais à travailler…
Tu avais un côté bricolo et un côté mainstream ?
Oui et j’adorais ça !
Tu n’as pas été tenté de devenir musicien pour de gros artistes comme Goldman ?
Il y a eu une expérience avec Alain Chamfort, j’ai enregistré avec lui un superbe double album live « Double vie » au Casino de Paris. J’ai travaillé avec Bill Baxter ou Jacques Bastello, mais c’étaient des potes ! France Gall voulait que je joue avec elle. C’était l’époque de Jannick Top à la basse, mais je ne me suis pas entendu avec Michel Berger. On m’a proposé Hallyday, Aznavour… Mais cela ne m’intéressait pas. Goldman me suffisait, et puis je ne suis pas un très bon lecteur : je suis un autodidacte doué mais bien trop paresseux ! (rires)
Tu suivais la scène rennaise encore à l’époque ?
De loin, mais vraiment de loin... Billy the Kick par exemple j’ai suivi ça de loin !
Après, tu vas te retrouver dans FFF ?
Je n’avais pas été repris dans le groupe de Goldman et donc j’ai joué avec eux. C’est un souvenir très mouvementé ! J’habitais à Paris et mon pote Stéphane Plassier me propose faire un truc pour son défilé de mode. Je jouais d’un instrument assez rare : la clarinette basse et donc j’en joue à ce défilé. Marco Prince (le chanteur de FFF NDLR ) trainait dans le coin. Il vient me voir, on sympathise et là je vois qu’on a plein de potes en commun notamment les gens de « Actuel » et « Radio Nova ». Un jour « Afrika Bambaataa » vient en France et on me propose de monter une section de cuivres pour jouer avec lui au Palace pour une soirée privée pour Nescafé (il venait de faire la pub). Je prends Daniel et Marco Prince était au trombone me semble t’il. En première partie il y avait la première mouture de FFF avec juste Marco et Nickus à la basse, les autres n’étaient pas encore là ! Je ne pouvais pas jouer avec eux, j’étais encore avec Goldman à l’époque. Peu à peu, le groupe s’est monté, et en 1990 ils ont sorti une maquette super bien. Comme je continuais à les suivre, j’ai contacté Marco. Je venais juste d’arrêter Goldman et j’ai proposé mes services pour rentrer dans le groupe ! Il y avait une super scène à l’époque autour de l’Hôpital Ephémère… Bref, les gars ont dit d’accord !
Super !
On a joué aux Transmusicales en 1990, dans la foulée, on a signé avec Epic et Warner-Chappell (les éditions) et enfin on a été produit par Bill Laswell (très célèbre producteur New Yorkais NDLR). On est parti en 1991 un mois et demi à New York pour enregistrer. Après tout ce que j’avais fait et vécu, ce n’était pas mal de continuer avec eux !
Ça jouait bien ?
Ça jouait fort ! Mes oreilles ont morflé avec eux ! Yarol (le guitariste de FFF NDLR) ne faisait pas semblant ! Cela a été la seule fois de ma vie où je n’ai appartenu qu’à un seul groupe !
Tu les as quittés ?
En fait, avec le succès naissant, ils voulaient devenir des idoles du rock, les « Nirvana » ou les « Red Hot Chili Peppers » Français. Yarol voulait être une rock star… Moi, je trouvais que l’on pouvait mélanger l’Afrique, le rock, le jazz et le funk ensemble : on avait une carte à jouer, je voulais aller plus loin dans cette voie ! Il y a eu un clash musical et je me suis retrouvé viré du groupe début 1993, sans pouvoir rien dire ou faire !!!
Qu’est-ce qui se passe à ce moment-là ?
Je suis parti à la Réunion en septembre-octobre 1993 pour co-produire le nouvel album du chanteur auteur-compositeur réunionnais Ti-Fock, que j’avais rencontré en 1988 et avec qui je collaborais régulièrement depuis, et puis j’ai décidé d’y poursuivre ma vie !
Tu fais quoi là-bas ?
Je suis devenu professeur de musique en collège pour « gagner ma vie », comme on dit, et J’essaye de jouer le plus souvent possible ici ou là, notamment avec des amis de Madagascar, j’ai fait des disques dont un double-album sous mon nom en 1997 (Prof. Jah Pinpin 4tet : « La Vérité Brute ») et depuis deux ans je suis jury dans une émission de télé-crochet sur la chaine « Antenne Réunion » ici. C’est une nouvelle expérience intéressante qui peut emmener des gens à écouter d’autres choses !
Tu as joué avec d’autres musiciens ?
J’ai aussi joué et enregistré avec de nombreux musiciens et groupes, comme avec "Sabouk" et l’album de "Monika Limba" que j’ai co-produit et réalisé... Je ne peux pas tous les citer, il y en a quand-même pas mal. J’aimerais juste évoquer des concerts en Inde en 2004 avec le groupe "Cosmic Sound" du tablaïste Subhash Dhunoohchand, avec notamment l’extraordinaire joueur de flûte Bansuri, Rupak Kulkarni, et ma participation par deux fois au Festival des Musiques Ethiopiennes d’Addis-Abeba, en 2005 avec la chanteuse Tsedenia Gebremarkos (avec les mythiques Han Bennink à la batterie et Jean-François Pauvros à la guitare), puis en 2009 avec le bassiste-producteur Dagmawi Ali, tout ça grâce à mon ami Francis Falceto. Francis a été très important pour moi, il nous avait fait enregistrer, Daniel et moi, sur les albums de Netsanet Mellessé et d’Alèmayèhu Eshèté et c’est aussi grâce à lui que j’ai joué avec "Sax Pustuls" à Poitiers (il était co-fondateur de "L’Oreille est Hardie" qui s’occupait du fameux "Confort Moderne" !) et que j’ai rencontré Ornette Coleman, une de mes idoles ! Je ne le remercierai jamais assez pour tout ça. Il y a aussi, bien sûr, mes participations au festival "Madajazzcar" à Tananarive en 2013 et en 2016 en compagnie du merveilleux groupe de jazz métissé "Issik", avec qui j’ai des projets pour l’avenir...
https://www.youtube.com/watch?v=GH1JdchD9DE
Tu te sens à l’aise avec la musique de la Réunion ?
Oui, c’est le « Séga » et le « Maloya », mais comme d’habitude je refuse les étiquettes donc je joue un peu de tout : du funk, du jazz, du free… ! Ce qui m’intéresse dans la musique c’est quand même la révolte, le refus des choses établies, ce que les situationnistes ont appelé la société spectaculaire marchande…
C’est quoi le « Maloya » ?
C’est une musique très africaine qui vient de l’esclavage, une musique ternaire (et parfois binaire-ternaire) très profonde avec des réminiscences celtiques, ce qui est incroyable ! Quand tu écoutes Danyèl Waro qui est le grand chanteur emblématique ici, tu as l’impression d’écouter Denez Prigent ou Éric Marchand ! C’est incroyable et tout ça m’intéresse. je me sens à l’aise avec ces musiques. J’ai eu la chance de jouer et d’enregistrer avec le regretté" Gramoun Lélé" dans son dernier album (Zelvoula), ainsi qu’avec l’immense Eusèbe Jaojoby, le roi du "Salegy" de Madagascar !
Les musiciens avec qui tu joues connaissent-ils ton passé, tu es une légende de la scène rennaise ?
J’espère que je suis une légende de la scène rennaise (rires) ! Je pense que les gens connaissent plus mon travail avec Goldman parce que c’est ce qui est mis en avant ! FFF ça intéresse surtout les musiciens ! Marquis de Sade, il faut quand même remonter à des gens qui ont presque 60 ans, comme moi ! Les musiciens avec qui je joue ils ont 30 ans ou même parfois 20 ans…
Tu es encore en contact avec les autres musiciens rennais ?
Grâce à Facebook oui, même si on a toujours été en contact, c’est plus facile avec cet outil, mais il y a la distance et les occupations de chacun. Je parle encore avec Frank, Daniel, ou Hervé Bordier avec d’autres comme Étienne ou Philippe Pascal c’est plus… compliqué : ils ne sont plus sur Facebook !
Tu es au courant que beaucoup de groupes rennais comme « Frakture » ou « les Nus » se sont reformés, ça t’inspire quoi ?
Pourquoi pas et tant mieux s’ils sont contents ensemble et si jamais on m’appelle pour une reformation de l’un de mes groupes, j’y retourne direct ! En plus, ce serait mieux qu’avant parce que chacun aura progressé, vraiment je serais heureux de rejouer avec Frank, Philippe ou Daniel !
Quel regard portes-tu sur ton passé ?
Aigre doux je vais dire ! Avec Marquis de Sade et FFF j’ai un sentiment d’inachevé c’est le côté aigre : ça aurait dû aller plus loin, j’ai subi les départs et séparations ! Le côté doux, c’est que ces groupes ont vraiment marqué la scène ! Mais je tiens à dire qu’un billet d’avion et j’arrive pour rejouer avec eux, même pour une occasion exceptionnelle !
Enfin la dernière question : quel disque donnerais-tu à tes enfants pour leur faire découvrir de la musique ?
Un disque de Prince « Sign’O’ the Times » ou alors " We Like It Here" de "Snarky Puppy", un groupe américain qui peut être intéressant pour faire découvrir la musique instrumentale et fortement métissée (et épicée) d’aujourd’hui, comme mes expériences avec les groupes "Zwaz", "Issik" (de Madagascar) et "Métodkwé"
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